• - Hé, qu'est ce qui se passe là? Laissez-nous partir, ils vont nous dévorer! Geignit Jack, une aile sur la cuisse à cause de sa blessure. Mayumi cria, dirigeant vers eux un sabot fendu comme si elle les pointait du doigt:

    --Cha ne marchera pas comme cha! Ch'est un meurtre, non-achichtanche à perchonne en danger!

    Leurs ravisseurs, munis de filets d'acier, ne répondirent pas et continuèrent à alterner leur surveillance entre eux et les reptiles au zénith, tournoyant à plusieurs dizaines de mètres au-dessus de leurs têtes. Derrière la foule, un bras et une tête gracieuse ornée de plumes dépassait à l'intervalle de chaque saut pour attirer leur attention. Quenotte. Seul un homme blond aux oreilles saillantes comme celles d'un chien, doté d'un museau et de pattes massives, semblait les écouter attentivement. Mélo réalisa qu'il était une chimère et pouvait les comprendre. Ce n'était pas le moment de faire une bavure, pourvu qu'aucun d'entre eux ne mentionnent qu'ils étaient responsables de la catastrophe. Elle les fixait avec appréhension pour leur transmettre de la mettre en sourdine, mais sans succès. Leurs regards étaient rivés sur les carnassiers qui planaient en des cercles de plus en plus étroits dont ils étaient le centre.

    -Ils se servent de nous comme appâts... souffla Pitch, les yeux vers le ciel. Les oreilles de la chimère-chien se raidirent encore plus, à l'affut. Lui avait remarqué le manège de la fille-chat et notamment son fiasco à avertir les autres.

    Elle cracha, furibonde, et miaula pour réclamer leur attention mais ni les Légendes, ni les trois filles ne la lui accordèrent, serrés malgré leurs différends initiaux. La féline désormais défigurée bondit souplement près du chien, provoquant un tollé de protestations de la part de leurs bourreaux. L'un la visa prestement avec sa fourche et elle leva les mains en l'air, tournée vers son semblable. Ayant changé d'apparence, ils ne les reconnaissaient pas comme coupables de la discorde qui régnait et leur groupe avait une chance de s'en sortir.

    -S'il vous plaît! Traduisez ce que j'ai à dire. Ce ne sont pas des animaux, ce sont des êtres humains! Nous sommes sous l'influence d'un mauvais sort, lancé par l'ensorceleur Dohum dans un coup de sang vengeur!

    L'homme-chien la dévisagea, estomaqué, alors que ses camarades avaient assisté à l'échange, leurs exhortations le poussa à transcrire ses paroles. L'un d'eux, un homme large à l'allure de bucheron et armés d'une hache, intervint:

    -Comment être sûrs de ce qu'elle dit? Elle peut être une dégénérée, et nous avons des soucis plus graves que le petit confort de bêtes de foire!

    -Donnez-nous une chance! Rendez-nous nos corps humains et nous vous aiderons! Et franchement, ils sont déjà imbuvables, alors pour ce qui est de les manger, ils vont foutre une diarrhée d'enfer à vos dragons. Vous avez franchement envie de nettoyer une demi-tonne de colique? finit-elle sur le ton de la persuasion. Son traducteur eut un haut-le-cœur et expliqua ce qu'elle lui avait dit. Les citadins commencèrent à débattre vivement.

    -Il est vrai que ce sont des animaux domestiqués, élevés en captivité. Nous leur donnons leur nourriture en morceau, on ne sait pas comment leur système digestif pourrait réagir si ils mangeaient des proies vivantes.

    -Sans compter qu'ils portent des vêtements, ça pourrait rendre notre horde sérieusement malade.

    Ils commencent à voir raison! J'ai vraiment eu un éclair de génie. Pensa-t-elle en se frottant les mains, son sourire digne du chat de Cheshire recommençait à poindre à son museau.

    C'est le moment que choisit le Croquemitaine, inconscient de l'échange, pour rajouter:

    -Si ces bêtes nous dévorent, c'est un souci de moins pour eux vu que nous les avons libérés.

    Lentement, leeeentemeeent, les deux chimères se tournèrent vers lui. Leurs regards conjoints finirent de le mettre mal à l'aise, et lentement, leeeentemeeent, il se tourna vers eux. Un échange triangulaire silencieux s’installa entre eux, l'homme-chien recula progressivement, Mélo le suppliant du regard, et subitement il hurla.

    -ALEEERTE!!! ILS ONT LIBERES LES DRAGONS!

    Tous se sortirent de leur activité respective, frappés d'ahurissement. Les habitants, stupéfaits, semblaient presque battre en retraite face aux vagabonds estomaqués changés en créatures de cirque. L'homme bâti comme une armoire normande s'ébroua alors et mugit comme un minotaure prêt à la charge. Ses compagnons reprirent leurs esprits et bramèrent à leur tour, les phalanges serrées sur les manches de leurs armes.

    -Oh mon dieu. C'est le type sur la table duquel on a atterrit tout à l'heure. On a détruit sa maison, bredouilla Tamalice d'une voix qui avait gagné quelques octaves. Pour couronner le tout, la chimère l'entendit et apostropha leur leader:

    -Chef! Ce sont eux qui ont anéanti vos possessions, avec un attentat-suicide au dragon! Ils l'ont fait s'écraser sur votre demeure familiale!

    Les yeux injectés de sang du colosse ripèrent sur eux et les proies se ratatinèrent sous leur venin, appréhendant la mort. Il s'égosilla et ses amis se jetèrent sur lui pour l'empêcher de les réduire en bouillie à la hache.

    -On n’est pas dans la merde.

    Blottis les uns contres les autres, ils n'avaient jamais été autant d'accord avec Mary-Sue.

    ***

    Frissonnant dans le souffle des battements d'ailes des sauriens, Pitch voyait sa vie défiler sous ses yeux. Victorieux dans une armure d'or il fut une fois, avant les Gardiens, avant l'Homme de la Lune, avant la Terre même, emprisonnant des démons antédiluviens sur une planète désolée. Montant la garde, seul, couvant d'un regard aimant un portrait de sa fille. Puis les Fearlings, le piégeant et délitant son existence, un général aimé de ses troupe, un mari et un père, jusqu'à ce que Kozmotis Pitchiner ne s'éteigne et qu'il ne reste plus que Pitch Black, faux, corrompu et dévasté. Des siècles de haine et de douleur à traverser l'univers, à semer la peur et le néant sur des mondes isolés, et la Terre. Ses victoires et ses échecs. Sa défaite la plus abjecte après la disparition de son enfant. Les cauchemars retournés contre lui, susurrant dans le noir tout ce qu'il avait perdu. L'île. La haine farouche qui lui avait brulé l'estomac à la vue de ce traître de Frost. Sa satisfaction sournoise à le voir mourir à petit feu. Les créatures de sables créée par l'une des humaines, effondrée, qui allèrent à la rescousse de son amourette. Les créatures de sable créées par l'une des humaines. De toute pièce. Dans une situation critique.

    Les rouages se mirent en mouvement en vitesse dans son esprit. Eux, les Légendes, perdaient leurs pouvoirs, comme "invoqués" en ce lieu.  Mary-Sue en était surement dotée auparavant et les avait logiquement perdus. Les étudiantes, elles, étaient arrivées dans les même conditions, et alors parfaitement normale, l'une d'elle s'était révélée des facultés hors-norme. Mais elle avait besoin de tracer dans une matière friable, ou  plus généralement sur un support, ce qu'elle souhaitait inconsciemment voir apparaître. Ici, sans matériel adéquat et dans l'incapacité d'utiliser un substitut de crayon, c'était impossible.

    Mais si elle avait été pourvue d'aptitudes lors de leur arrivée, alors en toute logique l'autre était passée par la même case, à son insu.

    Ses pouvoirs n'avaient pas été révélés car elle était moins impressionnable que Mayumi et n'avait pas ressenti de désespoir extrême jusqu'à présent, et restaient en dormance en attendant la bonne occasion de sauver leur détentrice.

    Il se tourna prestement vers elle et l'observa, réfléchissant à une stratégie. Elle observait toujours le ciel avec appréhension où la trajectoire des monstres les prenait résolument comme centre, effrayée par leurs cris stridents. Il nota que certains s'enhardissaient et se rapprochaient peu à peu. Le Croquemitaine soupira misérablement et se prépara à attaquer. Il espérait juste que son pouvoir n'était pas de faire pleuvoir des éponges ou lisser les poils pubiens.

    Tamalice reçut un coup dans le jarret, désarçonnée, et avant d'avoir pu réagir Pitch lui dit, doucereux:

    - As-tu fait tes prières? Il serait temps, pour une personne vouée à l'Enfer.

    -Quoi?

    -Nous allons mourir maintenant, au milieu de centaines de témoins, déchiquetés par les crocs de ces bêtes. C'est judicieux de faire ses adieux, non?

    Elle le dévisagea, la bouche ouverte comme s'il l'avait frappé.

    -Ca va pas de dire des choses pareilles? C'est vraiment pas le moment! Fusa Jack, exaspéré par ses manières. Le doyen continua comme s'il n'avait pas été interrompu:

    -J'ose espérer que vous n'avez pas parlé de manière regrettable à vos parents car c'aurait été la dernière chose que vous leur aurez dit. Le rêve est fini à présent, nous n'avons plus aucune chance de nous en sortir. Ces créatures vont nous réduire en charpie.

    -Mais à quoi tu joues? Normalement sur le point de mourir on se repent de ses erreurs! s'énerva Mary-Sue, ses yeux de chiens exorbités, un petit jappement ponctuant son intervention.

    -Ils vont plonger sur nous, nous mettre en pièce et se battre pour les morceaux. Vous n'aurez rien accompli de votre vie, ni même compris pourquoi nous sommes ici, et quelque part vos parents sont seuls et vivent dans l'angoisse de ne pas savoir ce qui vous est arrivé.

    L'elfe tremblante semblait abasourdie, passant du Croquemitaine pour qui elle avait de l'adoration aux dragons de plus en plus proches. Une goutte de sueur perla sur sa tempe et les paroles de Black l'atteignait comme jamais.

    A cet instant, un reptile poussa un cri perçant et se laissa tomber en piquée, ailes rabattue comme un obus en chute libre.

    -Inéluctable.

    Ils se jetèrent au sol en criant face à la gueule ouverte du dragon alors qu'elle sentit alors tout son stress et son effroi bondir en elle comme si le contenu de son ventre faisait les montagnes russes. Une éruption de couleurs paru jaillir du sol et prit aussitôt la forme d'un autre dragon, plus grand, les ailes déployées et la bouche garnie de crocs face à la première créature, qui remonta prestement en rugissant. Sa queue traversa son agresseur comme un écran de fumée.

    -Vous avez vu? fit Mélo, ne prêtant aucune attention à la foule en débâcle devant la chose.

    -Un fantôme! balbutia Mayumi, encore sous le choc de l'attaque puis glapit lorsque May la mordit à la patte.

    -Ne dis pas n'importe quoi c'est un genre d'hologramme bécasse! Si je n'étais pas coincée avec vous qui sapez tous mes pouvoirs, j'aurais pu domestiquer leur meute! Vous allez me le pay-hééééééé!

    Le coup de sabot de l'alpaga orange l'envoya valser dans l'horizon façon Team Rocket.

    -Bonne chance pour l'atterrissage!

    Bien vu, se félicita Pitch, satisfait de sa prestation et de celle de l'âne. Sa création claquait férocement des mâchoires, tenant en respect les bêtes peu habituées à rencontrer une telle résistance. Elle, en revanche, était avachie sur son postérieur équin et avait à ce moment le QI d'une dinde trépanée, la tête inclinée et les lèvres pendantes. L'image même d'un sex-appeal torride.

    Il la secoua de son aile tandis que les autres s’approchaient.

    -Reprends-toi! Si l'on veut avoir une chance de s'en sortir malgré ce qui s'est passé, il faut nous rendre utile.

    -Ca me fait désagréablement mal au cul de l'avouer, mais il a raison, soupira Pingouin-Jack. Essaie de les intimider avec ta bestiole pour les ramener à leur enclos.

    Tous hochèrent vigoureusement de la tête sauf Mélo qui mettait de petits coups de coude à l'Esprit du Froid, pour lui faire avouer qu'il sous-entendait connaître des douleurs au cul agréables. Tama se redressa en inspirant profondément, prenant son courage à deux mains.

    -Allez. Il est l'heure de voir si j'arrive à faire bouger ce mastodonte.

    Elle se tourna vers le titan écailleux en gesticulant et levant les pattes.

    -Lève-toi et vole! C'est ton prophète qui te le commande!

    Le monstre s'élança vers le ciel sans plus de délai, n'étant pas sujet aux lois de la gravité puisqu'il était immatériel. Les fugitifs battirent en retraite en piaillant devant le saurien qui faisait trois fois leur taille.

    -Pourquoi tu parles comme ça? demanda Mayu.

    -Bah je sais pas. Ca fait plus magique, non?

    -Jusqu'ici, la magie nous a porté la poisse, grinça Black, les dents serrées. Mélo tapota les épaules des deux étudiantes et pointa du doigt une sorte de manège d'équitation recouvert de grillage épais à un ou deux kilomètres, dépassant les habitations environnantes.

    -Regardez, c'est l'enclos principal, où sont formés les dragonniers et préparées leurs montures. Il y a assez de place pour y enfermer les dragons et surtout, c'est l'endroit le plus proche!

    -Ca marche, préviens les habitants de l'ouvrir et de se tenir prêts à y confiner leurs bestiaux. Je sens que je vais pas pouvoir rester comme ça longtemps, ça demande trop de concentration.

    La fille-chat fila vers la chimère qui avait traduit leurs paroles il y a quelques minutes et lui expliqua quel était leur plan, avant qu'il ne transmette ce qu'il avait compris à son auditoire. Un tapotis de griffes sur le sol annonça le retour de Mary-Sue en trottant, trop fière pour manquer cette occasion, et Quenotte se jeta sur Jack en le serrant contre sa poitrine et clamant: "Je jouis de t'occulter!" alors que Mayumi écumait. Bientôt, tous se mirent en route, Frost crachant quelques plumes bariolées au passage, et le reptile irréel prenant en chasse les créatures, insensible à leurs jets de flammes et leurs crachats venimeux qui le traversaient.

    Pour la première fois de son histoire, la ville fut témoin d'un pingouin dandinant, un lama couleur potiron, un chihuahua majestueux, une humaine velue aux oreilles décollées et un cacatoès à l'allure dépressive domptant des dragons, menés par un âne rose bonbon qui dirigeait un dragon encore plus énorme, jusqu'à les faire entrer dans un large hangar dont les portes se refermèrent sur les bêtes hurlantes, taisant leurs protestations inhumaines. Tamalice laissa alors s'évaporer sa création dans les airs, les membres flageolants. Un silence lourd tomba sur l'assemblée alors que tous les dévisageaient. Une voix s'éleva:

    -Ils ont sauvés la ville!


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  • « -AAAAHHHH ! Hurlèrent tous les membres du groupe en voyant dans quel état il venait d’être mis.

    -J’ai des sabots à la place des mains, qu’est-ce qu’il s’est passé ?!

    -Je chochotte, au checours ! Je chais pas che qui ch’est paché avec mes dents !

    -Mon épilation parfaite !!!

    -Je n’ai plus de doigts !!!

    -Et moi plus d’oreilles ?! Et ma queue ?!

    -Plaignez-vous, je ne vois strictement rien ! S’agita une masse sous la sombre cape du croquemitaine. »

    Alors que la plupart des membres se secouaient pour se débarrasser de leurs vêtements désormais beaucoup trop grands pour leur petit corps, d’autres restaient pétrifiés, et pas forcément de peur. Tamalice, transformée en âne, ne pouvait absolument pas bouger, elle était prisonnière de ses habits. Son corset avait craqué à son plus grand malheur et trainait par terre, sa ceinture la serrait beaucoup trop, essayant de mincir un corps qui ne le devrait absolument pas. Son pantalon avait pris cher, notamment à la taille, l’élastique ayant craqué après la prise de hanche bien trop importante, cependant il restait en place et puis ses pattes avaient largement la place de s’y trouver, baggy oblige. Mais ses bottes étaient devenues bien trop inconfortables, sans oublier cette affreuse ceinture qui la scindait en deux, il fallait qu’elle la retire ! Et son pelage ridicule n’avait pas fini d’en faire rire plus d’un : rose, comme ses cheveux. Elle ne savait pas comment, mais sa mèche rebiquant devant ses yeux était encore là, plus crépue que d’habitude mais toujours là. Elle avait d’effroyables grosses lèvres, tellement grosses qu’elle devait se concentrer pour ne pas les laisser pendre. Elle devait avoir un sourire à tomber, pensa-t-elle ironiquement, aussi sexy que l’Âne dans Shrek. Elle s’acheva toute seule en voyant qu’elle avait une queue et s’écrasa sur le sol en se bidonnant, le souffle court.

    Jack avait disparu sous son sweat bleu, sa crosse jonchait le sol, abandonnée. Le pantalon du beau gosse s’agita et un manchot apparu. Je reconnue tout de suite Jack, des stries argentées typiques de son pouvoir étaient encrées dans son plumage, formant des rosasses argentées discrètes à la limite de ses plumes bleutées et blanches. Et puis ses épis n’avaient pas disparu et s’étaient formés dans ses plumes au-dessus de sa tête. Désormais il mesurait moins d’un mètre cinquante et ballotait d’un côté à un autre, encore maladroit dans ses premiers pas en tant qu’oiseau marin. Il regardait avec effarement ses pieds palmés et la disparition de ses mains.

    Mary-Sue s’extirpait à son tour de ses vêtements et plissait ses petits yeux à tel point qu’on aurait presque cru qu’ils allaient disparaitre de sa face de chihuahua. Son pelage brun luisait de la même manière que ses cheveux, mais c’était beaucoup moins classe sur un chien. Elle ressemblait désormais à un bijou précieux, elle brillait de la même manière qu’Edouard Cullen dans Twilight, les biceps en moins. Elle était haute comme trois pommes et ses pattes étaient tellement minuscules que ses poils frottaient contre le sol sale. Elle était furax, sa manucure avait disparu et prit une forme tout autre, des griffes avec du vernis rose écaillé. Son maquillage avait quasiment disparu sous son pelage, seul l’eyeliner intensifiait son regard canin, lui donnant un air plus effrayant qu’autre chose. Et puis elle était nue, quoi ! Elle jappait avec frénésie, comme prise d’un hoquet phénoménale, faisant des petits bons insupportables. Tellement insupportables que le « rat enragé » se prit un sabot en travers de la tronche signé Tamalice.

    Pitch apparu en même temps que Jack, des plumes excentriques surplombant son regard blasé de cacatoès. Sa coiffure n’avait jamais été aussi bien mise en valeur. Ses longues ailes de la couleur de ses cauchemars rappelaient sa longue cape. Son nez était quasiment de la même forme que son bec, le changement ne devait donc pas être trop dénaturant pour le croquemitaine. Seule une chose le fit se figer : les quelques plumes tombants devant ses yeux. D’ordinaire, elles auraient dû être d’une couleur noir charbon, si on s’en tenait à la génétique et à son ancienne coupe, mais Dame Nature n’en avait apparemment rien à quarrer de la génétique, ses splendides reflets ténèbres dont il était si fier avait disparu et laissé place à la lumière divine. Ou plutôt aux couleurs du Macdonald. Un jaune fluo flambait sur le dessus de son minuscule crâne, l’éblouissant. Il en était pétrifié de s’être vu affublé une couleur aussi tape à l’œil et aussi… Sable. Et il n’était pas au bout de ses peines, ce qu’il ne pouvait pas encore voir c’est qu’il avait acquis un sublime coup de blush sur chacune de ses joues, surlignant ses pommettes de volatile et lui donnant un air de Pokémon. Il serra ce qu’il pouvait juger être ses mains, ou plutôt le bout de ses ailes et poussa un piaillement puissant et aigu, furieux. Les autres en eurent quelques secondes les oreilles vrombissantes mais ne purent lui en vouloir, il avait bien raison d’être en colère.

    La plus furibonde dans l’histoire était Mélo. Considérée d’ordre général comme une chimère animale, elle était à la fois humaine et chat. Elle attirait bon nombre d’amateur de « Neko » et elle en était extrêmement fière. Mais ce qu’il venait de lui arriver allait plus en faire fuir qu’en attirer. Elle avait subi un changement total de son corps, une métamorphose inversée. Ses oreilles s’étaient rétractées, laissant place à deux oreilles humaines. Pareille pour sa queue, pouf ! Disparue ! Plus que ses fesses ! Ses moustaches étaient tombées, à son plus grand effroi, son museau était devenu nez et ses pattes s’étaient transformées en mains et pieds humains. Plus de coussinet, plus de griffe, juste d’affreux ongles et de longs doigts sans aucun poil. Enfin, tout était relatif, ses poils étaient réapparus autre part notamment sur tout le reste de son corps. Sa frimousse humaine en était totalement recouverte, ses avant-bras, jambes, hanches, torse, poitrine, cou, TOUT, sauf ses oreilles, son nez, ses mains et ses pieds. Elle était devenue un monstre, le yéti du coin, en pire. Elle s’écroula, une larme perlant au coin de son œil droit. Elle voulut se plaindre, mais lorsqu’elle s’entendit, elle poussa un cri de surprise : sa voix était devenue celle d’un chat. Elle ne pouvait plus communiquer avec les humains. Elle ne bougea plus, crispée, les membres raidit, en état de choc. Il lui fallait une pelote de laine, et vite.

    Puis moi. Je n’avais jamais vu le monde d’aussi haut. Devenir lama m’avait permis d’avoir une vue beaucoup plus panoramique. Ma tête était ridiculement surélevée et mes yeux grotesquement écartés, je pouvais voir mon derrière d’ici. Mon pelage était épais, dru et orange, je ressemblais à un lama citrouille, tout ce qu’il y avait de plus courant. Ma rangée de dents inférieures pendait lamentablement à tel point que j’en zozotais fortement. Fermer ma bouche n’avait jamais été aussi difficile, j’avais l’impression de revenir à la douce époque où j’avais un appareil dentaire. Mes vêtements étaient restés accrochés à mon corps et me serraient. Il offrait une délimitation de poil apparent aux endroits où je n’avais généralement pas de tissu. J’étais compressée et la citrouille sur mon T-shirt blanc rendait la situation encore plus absurde et grotesque, comme si on venait de me coller une étiquette « Blonde » sur le front. Je compris illico ce qu’avait enduré Kuzco : On devenait une autodérision à l’instant même où on devenait lama.

    Alors que nous étions tous en train de nous apitoyer sur notre sort (Tamalice s’étant rendue soudainement compte que sa poitrine avait disparu avait rejoint notre cercle du désespoir), une masse informe se mit à bouger depuis la poche du sweat de Jack. Elle grossit, s’agita, grossit encore et encore jusqu’à s’extirper avant que la poche ne s’arrache. C’était Quenotte, et l’augmentation de sa taille n’arrêtait pas de s’accentuer. Elle convulsait devant nos yeux ébahis et terrifiés à chaque poussée de croissance. Plus elle grandissait plus ses plumes se rétractaient, laissant place à une chair humaine pure et luisante. Son développement prit fin au bout d’une bonne minute, désormais nous n’avions plus un petit colibri devant nous mais une humaine presque nue et inconsciente. Sa chevelure était de plumes vertes et jaunes chatoyantes au soleil. Sa ressemblance avec la fée des dents était ahurissante, la seule chose qui les différenciait était la quantité de plumes sur leur corps. La Légende en était vêtue comme d’une robe, Quenotte n’en avait qu’en guise de sous-vêtements et de queue de volatile ce qui fit rougir furieusement Manchot Jack. Il en détourna les yeux, à notre plus grand damne à Mary-Sue et à moi. Parce qu’elle n’était pas moche en plus, la gouge ! Elle ouvrit ses yeux et s’étira gracieusement en baillant. Son regard passa d’une personne à une autre jusqu’à ce qu’elle repère ce qu’elle cherchait : Jack. Un large sourire s’étira sur son visage, elle se mit à quatre pattes et avança vers le manchot toujours retourné. Sans plus attendre, elle ouvrit grand ses bras et l’entoura, le soulevant d’une poigne plus que puissante. Quenotte baragouina quelque chose entre le piaillement et le langage humain tout en frottant sa joue contre celle du manchot mal à l’aise. Il tenta de se défaire de la poigne mortelle de son acolyte tout en jurant :

    « -Bordel, Quenotte, j’étouffe !

    -Ouais, et d-é-g-a-c-h-e tes chales pattes de Jack, et churtout ta poitrine, ch’est pas le moment des exhibichions, et churtout pas l’endroit, sifflais-je méchamment, perdant toute crédibilité à cause de ma dentition.

    -Merci vieux chnoque mais on avait déjà assez avec une chaudasse ambulante ! Hennissait Tamalice en direction de la porte fermée.

    -Parfaitement, jappa May avant de comprendre l’arrière-pensée. Heyyy !

    -Au moins elle s’est reconnue, ricana l’ânesse.

    -En attendant ce n’est pas moi qui ressemble à un vulgaire canasson qui pue !

    -Et moi à un ridicule rat poilu.

    -Ça suffiiit ! Intervint Pitch le cacatoès d’une voix plus chantante que menaçante. Ce n’est absolument pas le moment de se battre, utilisez plutôt votre énergie à rattraper ce vieux croulant qui vient de s’enfermer chez lui !

    -J’approuve l’idée, soupira le manchot après s’être dégagé de la poigne de fer de Quenotte. En plus je suis incapable de tenir ma crosse avec ces ridicules moignons.

    -Tu sais beau gosse, ce handicap ne retire pas ma proposition de tantôt… tu sais, le  f l o c o n… Susurra Mary-Sue en dandinant son popotin de chien. »

    Jack frissonna d’horreur tandis que j’envoyais valser le « rat » d’un coup de sabot bien placé. L’animal se redressa en grognant et s’apprêta à me sauter dessus. Il plongea en avant, tous crocs et griffes sortit et… Reçu un magnifique jet de salive de ma part, le refroidissant direct. Il tomba à la renverse sur le côté, les 4 fers tendus et ne bougea plus. Au moins, elle était calmée jusqu’à sa prochaine crise. Quenotte s’était quant à elle rapprochée et avait posé une main sur ma tête de lama, le regard remplis de gratitude. Un geste que je chassai en m’ébrouant, mal à l’aise. Pitch leva les yeux au ciel et s’avança au centre du cercle afin d’attirer toute notre attention.

    « -Bon, ça commence sérieusement à me gonfler tous ses problèmes/ Disputes/ Accidents que vous causez. Maintenant, on va faire à ma manière !

    -A ta manière ? Comment ça « à ta manière » ?! Se crispa Jack. Depuis quand c’est toi le chef ?

    -Depuis que vous êtes incapables de prendre de bonnes décisions ! On cherche un moyen de rentrer, non ? Moyennant quoi, avec vos idées à la con on se retrouve constamment dans des situations comme celles-ci ! (Il ouvrit grand ses ailes pour montrer l’état dans lequel on se trouvait) On se croirait dans une version hardcore des Musiciens de Brême! (Il désigna cette fois la chimère et pointa le harcèlement sexuel de May du bout du menton) »

    Mélo le foudroya du regard en feulant, ces poils encore plus hérissés que d’habitude. Elle n’aimait pas du tout la tournure que cette discussion prenait.

    « - Il n’a pas tort, gloussais-je en même temps que Tamalice. Il faut avouer que tu rechembles à un Yéti.

    -C’est bon, je crois qu’on a compris, s’irrita la concernée, les bras croisés, finalement décidée à ne pas commettre d’autres massacres en plus de ceux qui se déroulaient autour d’eux.

    -Bon, on fait quoi du coup ? S’impatienta Tamalice, le sabot frappant régulièrement contre la pierre meublant le sol.

    -Je vous propose qu’on aille casser la gueule à ce vieux détritus puis qu’on lui demande un remède à… ça, souligna Pitch en montrant nos nouvelles apparences.

    -Ooou, on trouve un autre mage plus chympathique que chelui-chi qui pourrait nous aider, proposais-je en bonne pacifique que je suis.

    -Je préfère ma proposition.

    -Je suis le maître des cauchemars quoi qu’il arrive, appuya l’âne en se rapprochant discrètement du cacatoès.

    -Euhm… Je suis d’accord avec le fait que ce vieux a sérieusement manqué de coups de pieds aux fesses mais je ne vois pas vraiment ce qu’on va pouvoir faire dans cet état-là, fit remarquer le manchot en mettant en avant ses ailes, décidemment traumatisé par la disparition de ses doigts.

    -Je préviens, il est hors de question que je morde le derrière de quiconque ! Grogna le chihuahua en se redressant. Et surtout pas celui de ce vieux croulant.

    -Moi je lui saute dessus quand vous voulez, miaula diaboliquement Mélo.

    -Bon, che propose un vote, qui préfère la baston ?

    (3 pattes se levèrent, une aile, un sabot et une main parfaitement manucurée.)

    -Et qui chouhaite viser une approche plus pachifique ?

    (3 autres pattes se dressèrent, une autre aile, une patte de chien vernie et un autre sabot.)

    -… »

    On se regarda tous une longue minute dans un silence avant que May daigne briser ce silence d’une remarque acerbe.

    « -On ira pas bien loin avec ton vote à la con ! T’es pas blonde pour rien, ma parole, on est nombre pair, ce genre de situation allait forcément arriver !

    -Ben chi t’as une meilleure idée fais-moi chigne, au moins ch’echaye de trouver une cholution ! Crachais-je littéralement.

    -Ouais eh bien des idées dans ce genre on peut s’en passer sans problème !

    -Euh… Je ne voudrais pas vous interrompre dans votre débat plus qu’intéressant mais maintenant que Quenotte est à demi-humaine… Elle peut peut-être participer au vote, non ? Proposa le beau gosse. »

    Second silence. Les regards se tournèrent tous vers la fée, allongée par terre en train de triturer ses nouvelles mèches d’un regard plus qu’idiot. Elle reporta son attention sur notre petit groupe qui la regardait avec insistance et en lâcha sa mèche. Elle prit une mine sérieuse, s’assit et commença son discours :

    « -Je… n’ai pas… auditionné?

    (3ème silence. Des sourcils animaux se froncèrent en parfaite synchronie.)

    -Qu’est-ce qu’elle a dit ? Demanda Mélo.

    -Auditionné…?

    -Punaise, on lui offre une bouche humaine et elle est même pas foutue de l’utiliser correctement, grogna le chihuahua.

    -A-t-on vraiment besoin de son vote ?

    -Attendez, si on essaye de décrypter ce qu’elle dit… Voyons… Auditionné… (Jack se tourna vers Quenotte.) Participé ?

    (Elle secoua la tête négativement.)

    -Tenter sa chance ?

    (Elle secoua encore une fois la tête.)

    -Echayer ?

    (Toujours non.)

    -Mais auditionné… Il y a audition dedans… Voulait-elle dire qu’elle n’a pas entendu ? »

    Quenotte s’agita, fit un sourire bizarre et secoua ses mains, montrant que c’était « cousi cousa » ça. Tamalice se dressa, fière de sa traduction.

    « -Je suis TROP forte.

    -Wow, wow, descend de ton piédestal, miss Monde, c’est moi la reine ici.

    -Il faut croire que ton cerveau à trop tourné au ralenti, il a dû se  fos-si-li-ser.

    (Pitch les ignora et continua.)

    -Bon, répétons parce qu’apparemment on a que ça à faire… S’irrita-t-il. Soit tu veux aller tabasser cet homme soit tu veux trouver une autre solution. Que choisis-tu ? »

    Quenotte hésita un moment, son index sur son menton avant de se tourner vers Jack et se coller à lui. Elle le montra du doigt en piaillant de joie.

    « -Che crois qu’elle rejoindra le camp de Jack quoique vous fachiez, grommelais-je. Pourquoi cha ne m’étonne même pas ?

    -Pourquoi tu te plains, c’était ton idée, signala l’âne.

    -Parce que che ne l’aime pas, marmonnais-je encore en fixant méchamment la fée (toujours à moitié à poils) collée à Jack. »

    La fée se redressa, lâcha manchot Jack brusquement et se dressa devant moi de façon imposante. Son regard était assassin et les plumes sur sa poitrine manquaient de me faire éternuer tellement elles étaient proche de mon museau. Elle pointa son index devant moi et me l’écrasa contre le nez.

    « -Si crois tu que… Je… Je te aime, tu trompes toi ! Tu es… odieuse !

    -Pardon ? Moi, odieuse ?! (La méchante Mayumi me chatouilla l’intérieur, ne demandant qu’à sortir et exploser.) Habille-toi d’abord avant de me dire cha, Clochette l’exhibitionnichte !

    -je ne me… désigne pas Clochette, c’est Quenotte ! Cria-t-elle, ses plumes soudainement dressées au-dessus de sa tête.

    -ch’est une exprechion, fée débile ! Et puis qu’importe ton nom, tu n’es qu’un larbin de la vraie fée des dents après tout, ricanais-je en haussant mes épaules de lama.

    -Euh… Les filles, on se calme, s’il vous plait… Demanda Jack, un peu mal à l’aise.

    -Toi, tais-toi ! Nous hurlons en parfaite synchronie.

    -Bien, bien, je vais… (Il montra un coin parfaitement opposé au lieu de bataille) aller là-bas…

    -Un larbin…Un larbin ?! Vais-je te montrer si moi un larbin je suis ! »

    Et elle me sauta dessus, toutes griffes sorties. La dark Mayumi en profita pour s’évader et répondre à ses coups sous les cris d’encouragement de Tamalice. Pitch pestait derrière qu’on s’écarte une fois de plus de notre quête et hésitait à nous sauter dessus aussi, mais il s’en voulu d’une idée aussi idiote lorsqu’il reçut un puissant coup de pied perdu de Quenotte en se rapprochant. Voltigeant 2 mètres plus loin, il se redressa brusquement bien qu’encore un peu sonné. Ses joues prirent une couleur pourpre, signe de colère, ses plumes se dressèrent sur son crâne et ses griffes se plantèrent dans le sol. Soudainement, il s’envola et fonça en piquet vers la dispute. Il atteint une cible au hasard et fut embarqué dans la bagarre, piaillant à tout rompre, piquant à tout rompre. Mélo avait rejoint Tamalice et hurlait à son tour des cris de guerre. Mais Tamalice s’arrêta immédiatement lorsqu’elle vit son cher et tendre croquemitaine se prendre un violent coup de pied. Elle vit rouge et sauta à son tour dans le tas, suivit de peu par Pitch. Dans un hennissement macabre, elle annonça sa venue et entreprit de faire pleuvoir les coups, espérant ne pas toucher le maître des cauchemars. Mélo en perdit la voix un instant avant de miauler de joie et de hurler encore plus fort des chants guerriers en langage chat. Mary-Sue aboyait quant à elle à tout rompre contre nous, ne sachant pas vraiment qui supporter.

    Les coups de la fée hystérique pleuvaient, coups de poing, pieds, tête, coudes, genoux. Elle arrachait tout ce qui pouvait être arraché, poils, tissu et… poils. Tout était sujet à faire mal, bien qu’elle soit encore maladroite dans ses mouvements. De mon côté, j’usais de mes sabots, désormais à terre avec une furie sur le ventre, lui infligeant maintes et maintes fois des coups dans la figure. Alors qu’elle réussit finalement à m’immobiliser les 4 fers, je lui aspergeais à son tour toute ma salive sur son jolie minois comme un lama digne de ce nom. Elle réprima un cri de dégout pur et s’essuya d’un revers de coude bave et sang sur son visage avant de piailler de douleur. Pitch avait rejoint la partie, il piqua de son bec son dos, piquait mes cuisses, piquait tout ce qu’il voyait en hurlant d’arrêter cette mascarade. Tamalice fut la deuxième à se jeter dans le tas, elle fonça comme un bélier et souleva d’un coup Quenotte, la faisant valdinguer un peu plus loin et plus précisément sur May qui glapit, tel le pauvre chihuahua écrasé qu’elle était. Couinant sous l’humaine beaucoup trop lourde pour elle, elle n’hésita pas à lui mordre le derrière, brisant sa règle qu’elle venait tout juste d’instaurer. Les cris d’animaux que nous poussions résonnaient à plusieurs mètres, cachant inconsciemment ceux des habitants toujours attaqués par les dragons. La guerre faisait rage à la fois ailleurs et dans notre groupe et c’était dans les deux cas de notre faute.

    La violente bataille que nous menions entre nous ne s’arrêtait pas. Nous laissions échapper toute notre frustration à travers cette dispute, ou du moins tous ceux participants à la bagarre. Jack était toujours caché dans un coin, complètement affligé et lassé. Quant à Mélo, elle continuait ses chants, attirant encore plus l’attention des habitants de la ville qui se rapprochaient désormais de notre groupe. Le pas silencieux et aux aguets, nous ne les avions absolument pas entendu arriver. Il faut dire que nous faisions plus de bruit qu’une fanfare à elle toute seule avec nos aboiements, miaulements, hennissements et piaillements. On aurait pu dire que la bassecour entière s’était réunie devant la vieille enceigne du sage de la ville. Ce fut finalement le manchot qui remarqua du mouvement à sa droite mais ce fut trop tard, un troupeau de grands gaillards lui sauta dessus et l’enferma dans un sac à patates. Les cris de Jack attirèrent notre attention, nous stoppant dans notre combat. Plumes, poils, tissu retombèrent dans un silence de plomb, les griffes et les dents se rétractèrent, les cris cessèrent, seule une lutte de regards subsista entre notre groupe et celui des agresseurs de Jack. Puis Quenotte se releva en voyant son maître entre les mains de ces inconnus, furibonde. Elle pointa d’un doigt menaçant ces assaillants qui la regardèrent de haut en bas. Ils devaient certainement trouver sa tenue cocasse, en plus d’être à demi-nue elle était couverte de morsures, balafres, sang et bleus. Ses quelques plumes qui lui restaient étaient complètement emmêlées et en pagaille. Finalement elle cracha un morceau de mon t-shirt et ouvrit la bouche,  au plus grand damne de notre troupe.

    « -Débandez-le ! Cria-t-elle. »

    Un long silence reprit, juste accompagné de deux trois cris en fond, des victimes de dragons certainement. Puis une explosion de fous rires et de rougissements.

    « -Débandez-le, quelle a dit ! S’esclaffa Mélo.

    -Je ne crois pas qu’il ait vraiment envie de se faire astiquer la nouille maintenant, ma chère Quenotte, rigola Tamalice avec son nouveau rire d’âne asthmatique.

    -Et surtout que j’étais la première sur la liste ! Qu’ils fassent la queue, chacun son tour ! Souligna Mary-Sue, un semblant de malice dans le regard.

    -Mon Dieu... Soupirais-je, gênée. Chi même elle, elle ch’y met…

    -J’abandonne, votre bêtise est plus forte que tout. Vous avez gagné, je baisse les armes ! Souffla Pitch, la tête entre les ailes, affligé.

    -Ben quoi ? S’énerva finalement Quenotte, les mains sur les hanches. »

    La scène suivante fut cependant nettement moins joyeuse. Sans crier garde, alors que nous étions tous pliés en deux et salement amochés pour nous relever, nous ne vîmes pas les agresseurs de Jack contourner la pseudo fée et foncer sur nous. De la même manière que ce qu’ils venaient de faire avec le manchot, ils nous attrapèrent, nous immobilisèrent avant de nous jeter dans le même sac que la Légende. Dans un tintamarre digne d’un cirque, nous nous agitions et hurlions depuis l’intérieur de notre prison avant d’être rejoint quelques minutes plus tard par Mélo qui venait certainement de se faire laminer par nos attaquants avant d’être jetée là-dedans.

    Les minutes passèrent, nous n’étions pas arrivés à percer ce sac. Désormais nous étions plutôt en train de lutter pour ne pas nous écraser les uns les autres ou pour ne pas vomir tellement nous étions ballottés dans tous les sens. Enfin… Le dernier effort me concernait plus que les autres. Finalement le sac s’écrasa violemment contre le sol, nous faisant lâcher une ribambelle de jurons animaux. De l’agitation se fit autour de nous avant qu’on nous délivre enfin. La lumière s’immisça à l’intérieur du sac, nous incitant à sortir. Mélo sortit la première en feulant, très en colère d’avoir été traitée comme un monstre. Tamalice se redressa, faisant craquer tous ses os avant de remarquer que sa ceinture s’était rompue dans la bagarre. Elle fut suivit par moi, le teint pâle, maladif, prête à vomir sur quiconque ne secouait ne serait-ce qu’un de mes poils. Mes vêtements n’étaient que lambeaux, arrachés par Quenotte la furie. Pitch, perché sur le dessus du crâne de l’âne s’ébroua afin de remettre de l’ordre dans son plumage. Quant à Jack et May, ils tentaient de reprendre forme animale tellement ils avaient été écrasés sous notre poids. Notre plan aurait été de nous enfuir à toutes pattes à l’instant même où on nous ouvrait ce stupide sac, mais ce dont nous fîmes face nous en empêcha. Les habitants les plus baraqués s’étaient regroupés autour de nous, nous menaçant avec épées, haches, baguettes soit tout ce qui pouvait nuire à notre vie ou santé. Au-dessus de nos têtes, des dragons volants tels de vautours, à l’affut d’un quelconque signal leur permettant de plonger vers nous afin de nous dévorer vivants. Une faille dans le regroupement de nos agresseurs ? Aucune. Une formule magique contre les dragons dévoreurs d’êtres vivants? Pas une seule en tête. Une solution ? Tenter le tout pour le tout : négocier.


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  • La troupe de malchanceux se faufilait à la suite de Mélo dans les ruelles de la ville plongée en plein chaos. La foule n'était qu'une cohue insensée et hurlante, affolée par la vingtaine de dragons furieux crachant leurs flammes à tout-va. La devanture de bois coloré d'une échoppe s'affaissa et heurta le crâne de Jack avec un bruit sourd, qui vociféra :

    - C'est vraiment nécessaire de se doucher maintenant ? Vous ne trouvez pas qu'on a déjà assez de problèmes comme ça ?!

    -Mets-la un peu en veilleuse, Mister Freeze! On n'a pas plus envie que toi d'y aller dans ces conditions, mais Miss-Casse-Burne va nous harceler tant qu'on n'y sera pas allés! Et en plus elle fouette, la gouge! Rétorqua Tamalice sur le même ton.

    -On n'a qu'à l'abandonner, intervint Mayumi les dents serrées, se pinçant le nez pour ne pas respirer l'odeur infecte qui émanait de Mary-Sue, qui lui jeta un regard de haine pure.

    Leur guide se stoppa net et tous se heurtèrent dans leur précipitation pour s'arrêter. Devant eux se dressait un large monument de briques blanches et mauves, cerné par des rangées d'arbres fruitiers. Des gens en sortaient en piaillant, agrippant leur serviette, avant de fixer la débandade à l'extérieur et de faire demi-tour vitesse grand V en beuglant encore plus fort.

    -On est arrivés ! Les bains publics de la cité, annonça fièrement la fille-chat.

    -Alors, on entre, on met Mary-Sue à la flotte... commença Pitch.

    -On vole l'argenterie et on fait les poches des gens, continua Tama.

    -On la sort et on file trouver quelqu'un de compétent qui puisse nous aider.

    Les six semeurs de trouble entrèrent dans le bâtiment. Des bassins s'étendaient dans plusieurs grandes salles, en partie cachées par de légères tentures bariolées, tandis que des habitants piétinaient sur le sol glissant, affolés par la confusion qui régnait à l'extérieur. Un homme dans la trentaine dérapa en tentant de se cacher à l'arrière du bâtiment et tomba à l'eau dans un "plouf!" sonore. Mayumi se dirigea vers un placard et en sortit une serpillère qui avait connu des jours meilleurs, et s'approcha de la splendide jeune fille, désormais recouverte de vomi. L'elfe comprit ce qu'elle avait en tête et l'imita, et se plaça à ses côtés, brandissant son balai en direction de May. Elle était prise en tenaille entre la piscine et les deux étudiantes.

    -Attendez, qu'est-ce que vous faites là? Vous n'allez quand même pas me pousser à la flotte comme une malpropre ?!

    -Ceci n'est pas un exercice, fit la blonde en la regardant de dessous sa frange. Vous avez le droit de garder le silence pendant la procédure.

    -Et t'es carrément une malpropre, rajouta Tamalice. Elles la projetèrent dans l'eau.

    La brune s'effondra en arrière en hurlant, disparaissant sous la surface avant d'émerger en aspirant goulument l'air. Elle croisa les bras pour garder un minimum de dignité et proclama:

    -Je décide de renoncer à garder le silence! Et se mit à invectiver férocement les deux autres, alors que celles-ci frottaient sans pitié les restes de gerbe du dragon, lui tapant le visage un peu trop souvent avec leurs ustensiles pour que ce soit du hasard.

    Pour une fois dans leur vie, Jack Frost et Pitch Black se regardèrent, lisant chacun dans les yeux de l'autre à quel point ils étaient en accord.

    -On n'est pas près de sortir de cette galère, hein?

    Profitant du spectacle, Mélo miaula joyeusement.

    ***

    La peau rouge et cuisante, Mary-Sue guettait avec rancœur ses deux tortionnaires, qui trottinaient derrière les deux hommes, portés par leurs longues jambes. Ouvrant la marche, leur conseillère les menait de venelle en venelle, évitant la foule. Selon ses dires, le cabinet du mage dont elle leur avait parlé n'était plus qu'à quelques rues de là où ils se trouvaient. Il n'y avait qu'à espérer que ce n'était pas un charlatan. Ils avaient expliqué à Mélo en long, en large et en travers tout ce qui leur été arrivé depuis le début de leur aventure, qu'ils ne venaient pas de ce monde et cherchaient à y rentrer. Elle leur avait alors proposé de les conduire chez maître Dohum, un savant génial mais acariâtre et odieux comme un ratel. Ils s'étaient donc tous mis en route, appâtés par l'aubaine que cela représentait.

    -Cette histoire est ridicule. Vous allez demander à un vieux déchet bigleux de nous renvoyer chez nous avec de la poudre de Merlinpinpin, intervint soudainement May. Elle se colla aux Légendes et rajouta d'une voix lascive :

    -Je peux vous aider, vous savez... Vous et moi, nous voulons la même chose : nous débarrasser de ces cageots et rentrer chez nous... On pourrait même rentrer chez moi, ponctua-t-elle d'un frôlement de langue sur le sweat de Jack. Il bondit sur le côté, les yeux exorbités, alors que Mayu vit rouge. Tamalice l'empêcha d'égorger la grognasse avec les dents et assura:

    -Tu sais quoi Mary-Sue? Tant la cruche va à l'eau, qu'à la fin tu nous les brise.

    -Ne menace plus jamais la vertu de Jack, tu entends, espèce de serpillère à foutre ?

    La beauté la dévisagea, dédaigneuse:

    - Mais ma pauvre chérie, tu crois vraiment qu'avec un physique pareil notre beau gosse du groupe est prude? La seule qui doit encore être vierge ici c'est toi.

    Pitch poussa alors un soupir exaspéré, un jet de flamme passant à un mètre au-dessus de sa tête.

    -Vous passez la nuit dehors et déclenchez une guerre civile involontairement, personne ne veut savoir ce que ça donne si vous vous provoquez. La prochaine qui l'ouvre, je la prends pour la taper sur l'autre.

    -Si je l'ouvre, tu me prends? demanda Tamalice, la  bouche en cœur et l'air coquin. Un vent de malaise flotta sur le groupe, dans une bulle de silence embarrassée.

    Elle vola dans le mur avec le revers de Black.

    -Joli crochet du gauche, siffla Jack, qui commençait à considérer utiliser la même méthode contre les deux autres hystériques. Ils se remirent en route, l'elfe louchant et claudiquant derrière eux.

    ***

    -Il est vierge.

    -Il est pas vierge.

    -Il est vierge.

    -Il est pas vierge.

    -Il est vierge.

    -Il est pas vierge, ça se voit dans ses yeux qu'il a été déniaisé, contrairement à toi, railla Mary-Sue. Au bout d'un quart d'heure de ce régime, l'esprit du froid n'en pu plus et explosa :

    -Arrêtez de nous gonfler avec ça! Je suis mort avant d'avoir pu faire quelque chose.

    Quatre paires d'yeux ronds comme des soucoupes se tournèrent vers lui tandis que la cinquième contemplait l'officine surmontée de tuiles rouge et d'un panneau indiquant : "Maître Dohum - Enchanteur et savant". Mélo annonça, alors que des cris de guerre retentissaient à quelques rues à peine:

    -C'est ici ; on va voir ce qu'il peut faire pour vous, puis elle ajouta en gloussant joyeusement : "Qu'est-ce que ça va être cocasse!"

    -Pourquoi ça ne me mets pas en confiance tout ça? soupira la blonde, blasée, tandis que leur guide se frottait les mains, anticipant le spectacle auquel elle allait assister. Mais personne ne semblait rejoindre l'avis de Mayu. Tamalice mit ses mains en porte-voix et lança, tout en s'avançant vers la porte de la boutique:

    -On ne va pas en rester là l'Esquimau, je vais te chambrer jusqu'à ce que tu n'en puisses plus.

    -Je suis compréhensive, à l'écoute et experte, la personne idéale pour cueillir ton petit flocon, minaudait Mary-Sue.

    -C'est sûr, son lit c'est comme la mort, tout le monde y passe.

    -Moi, j'ai été marié trois fois, ricana le Croquemitaine avant que May n'ait rétorqué.

    -Et en même temps, souligna l'elfe, admirative. Il la dévisagea d'un air suspect.

    -Tu fouilles dans mes poubelles aussi?

    -Pour ça, il me faudrait ton adresse? Vous habitez chez vos parents?

    -Trouvez-vous une chambre et décarrez de mon pallier, bande de vermines lubriques!! tonna une voix scandalisée. Tous sursautèrent, sauf Pitch, et firent volte-face.

    Un  gnome antique, rabougri, chauve et plissé comme un vieux pruneau les toisait de toute son ardeur et de son humble mètre quarante.

    Jack balança sa main devant la bouche de May avant qu'elle ne s'esclaffe, alors que Mélo se déplaçait subrepticement derrière le vétéran du siècle. Les deux amies se concertèrent du regard, inspirant un grand coup et se lancèrent.

    -Ecoutez, ça va vous semblez complètement fou...

    -Euh, bonjour d'abord, non?

    -Ah oui, bonjour! Bonjour monsieur. Donc nous disions, il nous est arrivé un truc dingue.

    -Genre, mais du grand n'importe quoi, vous voyez?

    -Bref, on est des victimes. Et ça nous met un peu les boules.

    -On en a gros, ouais.

    -Nous-n'avons-rien-demandé. Et ça nous tombe, là, comme ça, sur le coin du museau.

    -Pas que la compagnie soit désagréable, hein, enfin à part la délinquante sexuelle, là, bien sûr.

    -Une vraie nymphomane. Mais on en a assez!

    -C'est mauvais pour le moral des troupes, vous savez, c'est, comme, euh, la choucroute.

    -La choucroute?

    -Bah oui, c'est bien un instant, mais ça finit par être lourd. Pis ça pue en plus!

    -Ah mais oui! Et du coup, on n'en peut plus.

    -Et il paraît que vous pouvez nous aider. Vous pouvez nous aider, hein, monsieur? termina Tamalice, pleine d'espoir. Jack et Pitch se dévisagèrent encore, pour la même raison que la dernière fois. Bon Dieu, ils étaient pas dans la bouse.

    L'ancêtre passa une longue minute à les scruter, l'air soupçonneux. Puis il soupira et rentra à l'intérieur quelques instants. Les deux filles se retinrent de sauter de joie.

    -J'ai éventuellement de quoi vous venir en aide. Prenez ça.

    Il tendit une vieille botte en cuir à Mayumi, qui s'abstint prudemment de la renifler, et une carafe remplie d'un liquide à l'autre. Puis il posa délicatement un vieux grimoire sur le sol et l'ouvrit à une page recouverte d'un charabia manuscrit. L'alphabet était latin, nota la fille aux cheveux roses, ahurie. Il reprit la parole:

    -L'une d'entre vous va lire à voix haute le contenu de cette page, pendant que l'autre fera un "si" -la note- sur la syllabe "ouh" d'une voix ininterrompue. Vous devrez aussi verser le contenu du calice dans le réceptacle, la botte de sept lieux, puis procédez de manière inverse tant que l'incantation ne sera pas terminée.

    Elles se concertèrent du regard, conscientes de la gravité de la situation et, solennelle, Mayumi prit la parole:

    -C'est peut-être notre seule chance... Peu importe à quel point on apprécie Jack et Pitch -mais surtout Jack-, notre vie est en danger ici. On ne cause que des problèmes. Et on leur doit bien ça, finit-elle, en adressant un sourire résigné et sincère au beau garçon se tenait debout, immobile. Tama soupira.

    -C'est notre devoir, conclue-t-elle. Nous devons nous en acquitter.

    Elles déglutirent et s'accroupirent pour pouvoir lire le texte, leurs artefacts à la main. La blonde ouvrit la bouche pour faire sa vocalise et la seconde commença à réciter la formule, attentive à ne buter sur aucun mot. Elle versa le liquide de la coupe dans la botte, avant que Mayu ne fasse le processus inverse, toujours en continuant sa part du rituel, et elles recommencèrent jusqu'à ce que Tamalice ait finit de lire le charme. Elle releva la tête, fière, et considéra son environnement.

    Elles venaient de passer cinq minutes, l'une parlant le charabia, l'autre la bouche en cul de poule à faire "ouh", et à verser de la flotte successivement dans une savate et une cruche.

    Une goutte de sueur coula sur sa tempe et ses joues se mirent à brûler.

    -Mais vous êtes vraiment connes comme des balais, cracha Mary-Sue, alors que Pitch et Jack fondirent en larme en se tapant les cuisses et se bidonnèrent comme des damnés.

    Mayu écarquilla les yeux en direction du mage et bégaya:

    -Vous, vous, vous vous êtes foutu de nous!

    -Bien sûr que non. Continuez comme ça une petite journée et des gens vont vous emmenez dans un joli endroit où l'on soigne les gens comme vous, pour les aider.

    Le sourire le plus hypocrite depuis le début de la lignée humaine était nonchalamment affiché sur sa figure, comme une cible qui réclame qu'on lui éclate une chaise dessus. Au diable le respect pour les vieux pourris dans son genre. Il tourna les talons, rentra à l'intérieur et claqua la porte. Avant de la rouvrir en pestant et de sortir une Mélo feulante par la peau du cou. Puis il rentra à nouveau, un bruit de verrou tintant immédiatement après.

    -Vous nous avez floué! Vous vous êtes fichu de nous! braillèrent les filles en tambourinant à la porte. La déception et l'humiliation brûlaient dans leur tête, consumant toute raison.

    - Pollué du bulbe! Saleté de pervers incontinent!

     -On devrait éliminer tous les vieux à la naissance!

    -Si les tocards asociaux volaient, vous seriez chef d'escadrille!

    -Retournez étudier vos bocaux en formol,  vous y serez bientôt, vieux débris!

    La porte s'ouvrit à la volée et les catapulta en arrière. Maître Dohum tira une fiole de sa manche et la brisa au pied de Mayumi, explosant et l'emmurant dans une nappe de fumée dense. Tamalice glapit lorsqu'elle subit le même sort, et les quatre autres reculèrent brusquement en voyant qu'il y avait encore assez de fioles pour eux entre les serres de l'homme enragé. Des éclats retentirent à nouveau et ils furent tous enveloppés dans ces épaisses chapes de gaz.

    Quand la vapeur se dissipa, affolés, ils baissèrent les yeux pour contrôler que rien ne leur était arrivé.

    Oh non.

     

    En lieu et place de Mélo, Jack, Pitch, Mary-Sue, Mayumi et Tamalice, se tenaient une chimère ignoble, un manchot, un cacatoès, un chihuahua, un lama et une âne.


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  • 1 semaine avant l’arrivée de Madame Duchamps à l’hôpital.

    « -Comment ça UN ENFANT ?! hurla Mme Duchamps. »

    La grosse femme arracha des mains le télégramme que lui lisait son amie pour le lire à son tour, comme si ça avait été une mauvaise blague. Curieuse, Adélaïde tendait l’oreille tout en astiquant les fenêtres qui se trouvaient au bout de la pièce à quelques mètres de sa patronne. Elle écoutait rarement les conversations de Madame et de sa clique, mais rien que le mot « enfant » avait retenu son attention avec un gros pincement au cœur. Alors que Madame pâlissait plus elle avançait dans sa lecture, ses deux amies se taisaient et buvaient leur thé, gênées. Ces deux femmes passaient quasiment tous les après-midi pour prendre le thé avec sa patronne. L’une rousse et petite, elle était la plus bête des 3. Complètement nunuche et à l’ouest, elle passait son temps à poser des questions. Sa seule présence relevait de cette fidélité qu’elle gardait envers Madame. L’autre brune et aux quelques kilos en trop, elle réfléchissait beaucoup lorsqu’elle buvait son thé avec ses amies mais restait énormément crédule. Etre en leur compagnie la calmait et elle aimait cette famille isolée dans les bois mais n’arrivait absolument pas à cerner les véritables personnes derrière les Duchamps.

    Ces deux femme idolâtraient totalement leur amie et ne pouvaient s’empêcher de montrer leur respect et leur fierté envers elle. Lorsqu’elles ne passaient pas leur temps à lui avouer chaque merveille qu’elle faisait pour elles et l’aduler dans ses moindres gestes et détails, elles étaient distraites par l’arrivée de Monsieur Duchamps. Sa présence dans la demeure manifestait chez elles une sorte d’excitation mêlée à des gloussements et caquètements insupportables à l’oreille d’Adélaïde. Elle ne comprenait pas ce que ces femmes trouvaient à ces deux énergumènes, en particulier à cet homme. Fort heureusement, cette « panique à la bassecours » n’arrivait que très rarement étant donné que Mr Duchamps était souvent absent, au plus grand désespoir de ces femmes et au plus grand soulagement de son employée.

    « -Je suis désolée pour ces membres de ta famille… se permit la plus fine des deux amies.

    -C’est tragique tout de même, tu n’en avais plus que 3 et voilà que seule la petite a survécu à cet accident, ajouta l’autre en reprenant un gâteau.

    (La concernée balaya ces commentaires d’un revers de main dédaigneux.)

    -De toute façon, ils ne m’ont jamais considéré comme un membre de leur famille. Non mais, ils m’ont rejeté lorsque j’avais le plus besoin d’eux, et maintenant qu’ils sont tous morts, c’est eux qui ont besoin de moi ! Ils me prennent vraiment pour le dindon de la farce ! S’exclama-t-elle rouge de colère.

    -Oui, mais en l’occurrence ils sont morts, je ne pense pas que c’était volontaire, ma chère Duchamps, se moqua un tantinet la brune en sirotant son thé. »

    Le regard que Madame D dit tout sur son dernier commentaire. La brune se sentie gênée et décida de faire comme si elle n’avait rien dit.

    « -Que leurs est-il arrivé ? Demanda la plus simplette.

    -Un accident de calèche à 25 kilomètres d’ici. Tu sais, le fossé plutôt dangereux qui mène à Lateim, expliqua Mme D en se massant l’arête du nez.

    -Oh, effectivement, s’ils sont tombés là-dedans… Ce qui est étonnant c’est que la seule survivante fut l’enfant. J’aurai plutôt parié sur la femme ou le mari en ce qui me concerne. Et du coup… ?

    -Mh ?

    -Eh bien, quel est le problème ?

    (Madame réfléchit et lui répondit en la regardant droit dans les yeux.)

    -Je vais devoir m’occuper de cette gamine. Je suis devenue sa seule parente. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, je n’affectionne pas particulièrement les enfants et encore moins ceux de mon ancienne famille.

    -D’un autre côté, avoir un enfant a des avantages, rigola la brune.

    -Et je peux savoir lesquels à part te vider ton compte bancaire ?

    -C’est adorable lorsque c’est bien éduqué, ils font tes tâches ménagères, ne te dérangent pas, et tu peux même hériter d’un beau fils riche si c’est une fille ! Imagine, quelle aubaine ! »

    Adélaïde s’offusqua en entendant pareilles sornettes. Agacée par ces propos, elle frotta plus fort la vitre en se pinçant la lèvre. Un enfant n’était pas un esclave !

    « -Vu sous cet angle… Mais il aurait fallu qu’elle soit éduquée de cette manière dès le début, je n’en ferai plus rien à 9 ans.

    -Mais voyons, il n’y a pas d’âge pour apprendre les bonnes manières ! S’exclama la blonde.

    -Pour une fois, elle a raison. Et puis tu ne risques pas de toucher une grosse part de l’héritage en tant que dernière survivante de la famille ? »

    Son regard s’illumina un court instant. Adélaïde soupira intérieurement. Dès que Madame entendait parler d’argent, elle partait au quart de tour. Mais elle perdit vite cette lueur en comprenant quelque chose.

    « -Non. Il y a cette petite. Tout lui reviendra. »

    Un silence de mort s’installa dans la pièce mais fut brisé presque immédiatement.

    « -Dérangerai-je un moment de confession envers notre seigneur  ? Demanda une voix qu’Adélaïde connaissait bien. »

    Toutes les femmes présentes dans la pièce sursautèrent en même temps mais pas pour les mêmes raisons. Les deux amies échappèrent un petit cri similaire à un orgasme avant de glousser comme des pintades. Madame se retourna et lui fit son plus beau faux sourire tandis qu’Adélaïde retenait sa respiration les yeux exorbités. C’était lui.

    « -Chéri, te revoilà, tu tombes à point nommé, nous étions en plein dilemme, raconta Mme D.

    -Ah oui ? Dit-il avec un semblant d’ennui dans la voix.

    (Il posa sa mallette à côté du sofa de sa femme et resta debout derrière son fauteuil en posant ses mains sur ses épaules.)

    -Une arrivée imprévue dans la famille. Nous allons devoir régler ce problème en privé, raconta-elle en fixant ses amies avec insistance pour bien leurs faire comprendre le message. »

    Les deux dindes qui gloussaient en regardant Mr Duchamps mirent quelques secondes avant de réagir. Ce fut la plus dégourdie qui percuta le plus vite et qui transmit véritablement le message d’un coup de coude à sa voisine qui s’excitait toujours en rougissant. Les deux se levèrent avec hâte, posèrent sur la table-basse leur tasse et firent leurs adieux au couple qui leur répondit d’un au-revoir hypocrite. Adélaïde qui les accompagna vers la sortie, revint reprendre ses activités discrètement. Elle se mit à astiquer les fenêtres derrière sa patronne de peur d’être vue en train d’épier. Le couple attendit d’entendre la porte d’entrée se fermer derrière elles avant de retirer son masque dégoulinant de mensonges.

    « -Quel est donc le problème ? Commença l’homme en soupirant, agacé. »

    Il s’assit face à sa femme et sortit une cigarette. C’est à cet instant même qu’il reporta son attention sur la jeune servante face à lui. Il avait bien remarqué qu’elle les observait mais ne lui faisait comprendre que maintenant d’un rictus sournois. Elle se redressa, comme pétrifiée. Elle se mit à trembler. Elle n’arrivait pas à détourner les yeux de ces deux gouffres sombres qui l’observaient. Puis il détourna son attention vers la flamme de son briquet qu’il venait de faire apparaitre. Il pencha un instant la tête pour l’allumer avant de la redresser et de regarder froidement sa femme, ignorant totalement Adélaïde.

    « -Ma godiche de famille vient de périr dans un accident de la route. Et ce stupide télégramme vient de m’informer que je dois aller récupérer leur fille, seule survivante de l’accident. Regarde par toi-même, souffla-t-elle en lui tendant le papier. »

    Il le lut rapidement sans aucune émotion. Après trois quatre bouffés de fumé, il termina sa lecture et souleva un sourcil. Ricanant, il balança avec dédain la feuille sur la table avant d’étreindre sa cigarette dans une tasse. Puis, comme si cela était on ne peut plus normal, il lâcha :

    « -Tu n’as qu’à t’en débarrasser. »

    Adélaïde en perdit son chiffon. Avait-elle bien entendu ?!

    « -Tu voudrais que je l’abandonne dans la forêt ou que je la noie dans une rivière ?

    -Qu’importe, du moment qu’elle ne traine pas dans cette maison et encore moins dans mes pattes.

    -Et comment je fais pour l’héritage ? »

    Son sourcil se dressa une nouvelle fois et une lueur intéressée apparut dans son regard.

    « -Un héritage ?

    -Oui, si mes souvenirs sont bons, cela reviendrait à quelques centaines de milliers. Rien de quoi s’extasier, mais c’est toujours ça de pris.

    -Effectivement, ça change tout. (Il réfléchit.) Réflexion faite, tu devrais d’abord aller te renseigner à la banque avec la petite avant de la délaisser. Nous ne savons pas ce que le contrat stipule exactement, imagine qu’il soit seulement dédié à elle…

    -Il suffit qu’elle meurt dans ce cas. Plus de gamine, plus d’obstacle en travers de notre héritage.

    -Ca me semble bien. Je te laisse t’en charger, j’ai d’autres choses à faire. Essaye de faire ça discrètement, veux-tu ? Je ne voudrais pas qu’on ait de mauvaises idées sur moi à l’Assemblée.

    -Ne t’inquiète pas, je ferai ça proprement sans que ça ne te nuise, sourit-elle. »

    Ce fut la réflexion de trop, Adélaïde laissa échapper un hoquet de terreur. L’homme leva les yeux dans sa direction et lui fit son sourire le plus perfide. Il se leva et se dirigea vers elle. Figée, elle recula à peine, transie de peur. En voyant sa réaction, son sourire s’accentua. Il se posta devant elle et dit tout haut :

    « -Apparemment les murs ont des oreilles ! J’en connais une qui a l’air très intéressé… »

    Madame se retourna et la relooka avec un air menaçant.

    « -Je peux savoir ce que vous faites là, Adélaïde ? Siffla sa patronne.

    (Les yeux de la jeune femme faisaient des allers-retours entre ses deux employeurs.)

    -Je… Je nettoie les vitres, Madame…

    -Et quelle partie de ma phrase n’avez-vous pas comprise lorsque j’ai demandé à me retrouver en privé avec mon mari?

    -.Je-Je pensais que vous vous adressiez à vos amies… Et puis Mr Duchamps n’avait pas l’air désappointé en me voyant…

    -Eh bien ne pensez pas la prochaine fois !

    -Vous rejetez la faute sur moi en plus ? Se moqua froidement Mr D.

    -Pas du tout ! Se défendit-elle, la bouche pâteuse.

    -Maintenant que vous êtes au courant, rejoignez-nous, je suis sûr qu’on va pouvoir trouver un arrangement entre nous, susurra l’homme en posa sa main sur son épaule et en l’emmenant vers les fauteuils. »

    Son seul contact lui provoqua un haut-le-cœur. Il la planta face à eux deux et s’assit de nouveau en la scrutant d’un air amusé.

    « -Ne vous avais-je donc pas dit de ne pas vous mêler de nos petites affaires ? Lui rappela-t-il. Je vois que vous ne tenez pas vraiment à votre petite vie tranquille…

    -Je lui ai aussi fait remarquer d’être discrète et sourde à tout ce qu’il ne la regardait pas mais il faut croire qu’obéir n’est pas vraiment son fort, s’exaspéra Madame.

    - Devrions- nous en parler à Gustave ? Questionna le mari. »

    Le sang de la jeune femme ne fit qu’un tour. Ils… voulaient l’offrir au cuisinier ?! En sueur, elle ne pouvait s’empêcher de trembler de plus en plus fort en se demandant à quel moment elle devrait s’enfuir à toute jambe. Sa patronne cogita deux minutes, laissant bien le temps à Adélaïde de frôler l’arrêt cardiaque. Puis elle clama sa sentence.

    « -Non. Bien qu’elle ait l’oreille qui traine un peu partout, son travail est remarquable, il serait dommage de s’en séparer maintenant. Cependant, j’aurai bien un petit travail pour vous en plus.

    -Je te trouve bien généreuse aujourd’hui, ce n’est pas dans tes habitudes, reprocha le mari à sa femme, déçu.

    -Qu’attendez-vous de moi ?

    -Si cette petite venait à habiter chez nous, je veux que ça soit vous qui vous en occupiez en plus du ménage. Vous deviendriez notre gouvernante et devrez la surveiller en dehors de vos moments de nettoyage. De plus, tout ce que vous avez entendu/vu ou entendrez/verrez à l’avenir, je ne veux qu’en aucun cas cela s’ébruite et se propage à l’extérieur, est-ce clair ? »

    Adélaïde considéra sa proposition avec gravité. Si elle était venue ici, c’était pour oublier les enfants et sa vie passée, pas pour devenir une babysitteur. Et puis de telles conditions… Elle savait qu’elle risquait d’en voir de belles dans le futur maintenant qu’elle était considérée comme membre du complot. Elle savait qu’elle devait refuser, cependant elle n’avait nulle part où aller et ne s’était pas encore suffisamment reconstruite pour pouvoir de nouveau revoir le vrai monde. De plus, le regard presque fou des deux personnes face à elle lui fit comprendre qu’elle n’avait pas vraiment le choix. Elle déglutit, cacha les tremblements violents de ses mains en les joignant devant elle fermement et tenta d’oublier cette douleur à l’abdomen qu’elle avait. Elle se redressa, cala son expression la plus neutre sur son visage et répondit avec assurance :

    « -Oui Madame, si tel est votre choix, je l’accepte.

    -Parfait. Cependant veillez à ce que votre comportement d’aujourd’hui ne se reproduise pas, je ne serai pas aussi clémente la prochaine fois, la menaça-t-elle. »

    La jeune femme hocha la tête en signe de consentement. Le pacte était celé, elle ne pourrait plus revenir en arrière désormais. 

    Sur cette conversation, ils repartirent vaquer à leurs occupations. L’homme attendit que sa femme sorte de la pièce pour souffler à l’oreille d’Adélaïde juste avant de partir : « Je sens qu’on va bien s’amuser tous les deux. » Elle ne répondit pas et resta comme à son habitude immobile de dégout au simple contact de sa respiration contre sa peau. Elle n’aurait jamais dû accepter ce job. Tout en reprenant son souffle et son chiffon, elle songea à l’arrivée de cette petite fille dans la maison et à son passé.

     

    Elle n’imaginait cependant pas un dixième de ce qu’elle allait vivre les années à venir.


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  • 1 an plus tard.

    Elle vit son père pour la dernière fois lorsqu’il l’éjecta avec force hors de la calèche. Sa mère hurlait, une expression de terreur incrustée sur son visage et son père qui lui cria qu’elle devait survivre en la poussant dehors.  Ils volaient tous. La roue, qui avait glissé sur la chaussée un peu trop humide, avait entrainé leur chute dans le fossé le plus dangereux de la région et ainsi, depuis quelques secondes, ils chutaient. Le cocher était déjà parti bien loin dans la forêt en contrebas et elle le rejoignait en criant. Elle tomba à une vitesse phénoménale légèrement plus à gauche de l’endroit où la calèche s’écrasa. Dans un bruit sinistre, leur fiacre se broya en plein vol, les os des chevaux se fracassèrent en même temps contre ces arbres, les tuant sur le coup. La calèche se déchira en deux et ne laissa plus que quelques débris se briser au sol. La fillette qui avait été envoyée hors du moyen de transport par son paternel atterrit avec brutalité dans un buisson à 3 mètres de l’impact de leur hippomobile contre les sapins. Heureusement pour elle, elle ne fut pas la plus à plaindre, elle s’évanouit sous le choc, ne sentant ainsi pas avant son réveil ses quelques fractures à la jambe droite, son épaule brisée et une branche qui était venue se loger dans son flan gauche. Elle ne s’éveilla que bien plus tard, il faisait totalement nuit, elle n’entendait aucun bruit et perdit son souffle un instant à cause de la douleur. Elle pleura à cause de cet élancement que lui procuraient ses blessures. Elle serra les dents, souleva ce qu’il restait de sa robe pour voir ce qu’elle avait et vit grâce à la lumière de la lune un large hématome sur sa jambe et son bras. Elle tenta de bouger, mais la branche ne se décidait pas à la lâcher, elle devrait la retirer pour s’extirper de cet endroit. Elle gémit, implora Dieu de la sauver et cria de toutes ses forces lorsqu’elle retira d’un coup sec ce morceau de bois. Sa plaie saignait, elle se tint le côté. Elle ne savait sur quel pied danser à cause du tiraillement et de cette torture qu’elle devait subir. Elle pensait ne pas survivre, que ces derniers moments seraient ceux-ci, mourir dans une forêt la nuit, seule. Tout en essayant de lutter contre le malaise qui la guettait, elle rampa en direction de la carcasse de sa calèche. Il lui fallut un moment avant de l’atteindre car ses blessures l’empêchaient de se relever et la ralentissaient. Arrivée vers ce qu’il restait de son auto, elle appela d’une voix chancelante ses parents. Silence. Personne ne lui répondait. Elle se rapprocha encore et utilisa ses dernières forces pour soulever certains débris. En dessous, elle put apercevoir certains morceaux des pauvres canassons et parmi eux, la main de sa mère. Elle ne put rien déterrer d’autre, le reste était bien trop lourd pour elle. Ses yeux se révulsèrent d’horreur en voyant cette scène sortie tout droit des enfers, et cette odeur de la mort qui embaumait les alentours et n’hésitait pas à s’inviter dans ses narines. Elle serra la main glacée de sa mère où seule une bague, avec sa froideur, rendait le corps décédé un semblant plus vivant, ferma les yeux comme pour essayer d’oublier ce qu’il venait de se passer et sanglota pendant un moment. Son chagrin fut la dernière chose qu’elle ressentit avant de défaillir de fatigue, de souffrance et de tristesse. 

    Son réveil suivant fut brumeux, elle avait l’impression qu’un voile était devant ses yeux. Elle était allongée sur une couche bien trop douce pour que ce soit de la mousse de la forêt. Elle avait mal et émergeait très difficilement de son sommeil. Elle tourna la tête et vit une perfusion reliée directement à son bras non plâtré. Elle souffrait horriblement, la perfusion ne devait certainement pas être une sorte d’anesthésiant vu la douleur qu’elle endurait. Mais la plus dure à supporter était tout de même celle qu’elle avait au cœur. Ses parents étaient morts. Elle était désormais seule. Enfin, techniquement là où elle était actuellement elle ne l’était pas vraiment car son lit se trouvait dans une grande pièce comme pleins d’autres. Elle pouvait entendre derrière le rideau sale qui la séparait des autres, des pleurs, des lamentations, des ronflements des patients de l’hôpital où elle émergeait, tout ceci dans un brouhaha irrégulier et constant. La tristesse qui flottait dans l’air la contamina car elle fondit en larmes. Mais où pouvait-elle bien pouvoir aller habiter? Elle devrait vivre à l’orphelinat? Et ses parents, comme ils lui manquaient... Alors elle tenta de réfuter la vérité, de se mentir. Et s’ils n'étaient pas morts? Elle sanglota et rigola en même temps. Oui, jamais ils ne l'auraient laissée dans ce vaste monde. Elle se rassura pendant de longues heures et finit par se persuader qu’ils l’attendaient dehors et qu’elle n’avait qu’à sortir d’ici pour les voir. Puis, alors qu’elle tentait de prendre le petit verre d’eau de sa seule main épargnée, elle se rendit compte que son poing était solidement fermé. Elle l'ouvrit doucement, faisant craquer ses articulations et circuler le sang de nouveau, et vit une bague tachée d'un rouge brunâtre. L'alliance que sa mère ne quittait jamais recouverte de sang séché était à l’intérieur et avait même laissé une trace dans sa paume. Ce minuscule bijou suffit pour lui faire perdre tout espoir d'une possible survie de ses parents et d'elle qui plus est. Elle aurait juste dû mourir avec eux. Accompagnée de cette pensée, ce mot se répétait dans son esprit: Seule.  

    Les minutes qui suivirent furent d’une lenteur implacable. Elle n’avait plus aucun espoir de survie en elle, la solitude l’emplissait et la faisait pleurer comme jamais elle n’avait pleuré. Elle se laissait lentement sombrer dans le désespoir. Elle fut interrompue quelques fois par les infirmières qui se présentaient à elle et qui prenaient un tas de notes en lui assurant que tout allait bien se passer et que bientôt elle pourrait de nouveau courir et lancer des balles comme tous les enfants de son âge. Mais elle n’en avait que faire, du haut de ses 9 ans, que pouvait-elle faire sans ses parents? Elle ne pouvait même pas aller à l’école. S’enfonçant un peu plus dans son lit, elle finit par se recouvrir totalement dans sa couverture et remonter ses jambes contre son ventre. Elle serra fort le dernier objet qui la liait à ses parents. Elle aurait tant voulu avoir Mr Lapin, sa peluche favorite, avec elle pour se consoler. Mais elle l’avait lui aussi abandonné en le laissant dans sa chambre et elle était certaine qu’elle ne retournerait plus chez elle pour la récupérer. Elle n’avait désormais plus personne à serrer dans ses bras, seulement des souvenirs froids et une vieille couverture trouée. 

    Les semaines passèrent, personne n’était encore venu la chercher. Mais qu’espérait-elle aussi? Elle n’avait pas d’autre famille que ses parents. Ses blessures se remettaient doucement, elle pouvait marcher de nouveau, certes maladroitement et en boitant fortement, mais au moins elle pouvait aller dans le jardin de ce petit hôpital et ainsi fuir les complaintes des autres blessés qui la rendaient encore plus effrayée. Assise dans le gazon, elle regardait les grandes grilles qui cachaient en partie l’extérieur. Elle devrait bientôt partir, car les infirmières commençaient à s’impatienter, les docteurs s’irritaient de ne pas être payés, et l’orphelinat qui refusait son admission en prétextant qu’ils n’auraient jamais pu tirer des bénéfices d’une petite convalescente traumatisée. Ainsi, elle serait certainement expulsée d’ici et livrée à elle-même. Elle échappa un sanglot en y pensant, à bout de nerfs. Elle était fatiguée. En plus, elle ne dormait pas énormément depuis l’accident. A chaque fois qu’elle fermait les yeux, c’était pour entrapercevoir la scène de l’explosion de la calèche et la mort de tous, y compris celle des chevaux. Alors elle ne dormait pas. Elle se contentait d’écouter à contrecœur les autres habitants de la pièce ou de pleurer en silence.

    Puis un jour, alors qu’elle était encore bandée et affaiblie, alors qu’elle regardait le plafond, plongée dans ses souvenirs les plus joyeux, une femme imposante et opulente se dressa au pied de son lit accompagnée d’un docteur. La petite se redressa poliment pour l’observer, le regard vide. Que lui voulait-elle ? Elle paraissait sévère, la petite pouvait voir une certaine irritation sur son visage. La dame l’observa un moment comme une femme au foyer pouvait regarder une pièce de viande au marché et se tourna vers le médecin. Elle lui demanda de faire lever l’enfant. Il s’exécuta et sollicita doucement la fillette. Comme un pantin obéissant, elle se redressa, mettant ainsi à jour l’étendue de ses blessures. Son visage portait encore les marques des impacts avec le sol lors de son atterrissage pendant l’accident. Des traces jaunâtres d’anciens hématomes, des écorchures… Sa jambe, bandée, la faisait toujours boiter, elle avait des difficultés à la poser à terre sans souffrir. Son bassin cicatrisait bien mais son bras sous écharpe refusait toujours de bouger, le médecin lui avait de toute façon bien dit qu’il lui faudrait minimum 6 mois avant qu’elle puisse de nouveau le bouger. Ainsi, cette inconnue scrutait son petit corps meurtri, tournait autour d’elle, évaluant son état.

    -« C’est une blague j’espère ! Vous voulez me refiler cette petite ? Mais regardez-la, elle ne doit pas être capable de faire quoique ce soit dans l’état où elle est !

    -Je m’excuse sincèrement Madame, mais elle a été retrouvée dans un état sévère, vous seriez venue la chercher un mois auparavant, elle n’aurait même pas pu se déplacer.

    -Je n’en ai que faire, je ne veux pas d’une gamine handicapée, cracha-t-elle en croisant les bras en signe de refus catégorique.

    -Mais nous ne pouvons pas la garder plus longtemps et l’orphelinat refuse de la prendre… De plus, selon la législation, vous êtes la dernière descendante de sa famille, vous êtes donc dans l’obligation de la prendre en charge. 

    -Mais je n’en ai que faire de votre législation ! Je ne veux pas de cette pitoyable créature ! »

    Il soupira, irrité. Cette femme était bien gentille, mais il n’avait pas toute la journée à lui accorder, et son augmentation dépendait de cette gamine. S’il ne la dégageait pas d’ici cette semaine, son patron lui avait promis un licenciement digne de ce nom.

    « -Je suis désolé Madame, vous devez la prendre avec vous, vous n’avez pas le choix. Vous risquez la prison autrement, et il serait fort dommage de vous faire enfermer à votre âge, vous ne pensez pas ?

    (Elle grinça des dents, son visage devenait rouge, elle se contenait. Finalement, elle céda sans pour autant perdre son regard noir.)

    -J’espère que vous êtes conscient de votre incompétence, non, de l’incompétence de votre hôpital tout entier, incapable ! Allez, rendez-vous utile et habillez-moi cette gamine qu’elle puisse se déplacer jusqu’à la calèche, je ne veux pas passer une minute de plus ici.

    -Bien sûr Madame, tout de suite, sourit l’homme en s’exécutant, heureux de la voir partir avec l’enfant et de savoir que ce soir il serait certainement plus proche de son patron qu’il ne l’avait jamais été auparavant. »

    Sur ses dires, la femme n’attendit même pas l’enfant et s’éclipsa de la pièce en jetant un regard rempli de dégout face à la misère humaine qui grouillait ici. Le médecin soupira bruyamment et entreprit de rassembler les effets personnels de la petite qui ne bougeait pas d’un pouce. Elle regardait dans le vide sans aucune expression faciale. L’homme en frissonna. Il comprenait parfaitement pourquoi l’orphelinat ne voulait pas d’elle, elle aurait fait peur à la fois aux enfants et aux futurs parents.

    Dès qu’il eut fini, il se plaça juste devant elle et s’accroupit.

    « -Tiens ma grande, ta veste et ta robe, je sais qu’elles ne sont pas en super état, mais en même temps vue la chute que tu as faite, ce n’est pas bien étonnant. »

    Elle le fixa et ses yeux se remplirent de larmes à l’entente du mot « chute ». Le médecin paniqua en voyant les larmes sur le point de couler. Il ne voulait pas qu’on dise de lui qu’il avait fait pleurer la petite juste avant qu’elle parte. Il faut dire qu’il n’avait jamais été très à l’aise avec les enfants aussi…

    « -Non, non, non, ne pleure pas… ! Hey, gamine, ça va aller ! Un petit coup de lavage, deux trois points de suture et ça sera comme neuf tu sais ! Au pire, la dame va t’emmener chez toi pour prendre tes affaires, alors tu n’as pas à t’inquiéter pour ça. (Il lui tapota l’épaule gentiment) Et puis tu ne risques pas de te faire gronder par tes parents maintenant ! Ajouta-t-il en rigolant, sans se rendre compte de sa gaffe monumentale. »

    A ces mots, la petite fondit en larmes. Prise de gros sanglots, elle hurlait presque de tristesse. Ses mains occupées par le petit tas de vêtements que l’homme lui avait fait, elle ne put se cacher et arborait un visage dégoulinant de larmes et de morve. L’homme, encore plus paniqué qu’avant, demanda du renfort à ses collègues infirmières. L’une d’elle accourut avec hâte vers le médecin en grognant et tous deux s’entretinrent un instant en chuchotant. La femme voulait apparemment quelque chose et s’énervait devant le médecin. Arrivés à un accord commun, elle hocha la tête, prit ce que l’homme lui tendait et se dirigea vers l’enfant avec l’homme. Elle s’empressa de pousser l’empoté de médecin avant de s’agenouiller à la hauteur de la gamine pour lui poser ses mains sur les épaules.

    « -Ma petite, n’écoute pas cet idiot, il ne sait pas ce qu’il dit. Dis-toi que tu vas pouvoir revoir ta maison, hm ? Il y a quelqu’un qui t’y attend ?

    (Entre deux sanglots, l’enfant réussit à articuler sa phrase.)

    -M-m-mon-maj-majordome.

    -Et tu l’aimes bien ce monsieur ? Demanda-t-elle en remettant une mèche derrière l’oreille de la petite. »

    Elle hocha la tête vivement en reniflant.

    « -Eh bien, c’est génial, tu vas pouvoir le serrer très fort dans tes bras lorsque tu le verras ! Mais pour ça, il faut que tu rejoignes la dame qui te prend en charge, nous ne pouvons pas t’y emmener.

    -Elle a raison, écoute l’infirmière, et puis tu vas pouvoir retrouver toute ta chambre de princesse et tes peluches ! Se rattrapa l’homme en hochant vivement de la tête et en lui faisant un grand sourire gêné. »

    L’infirmière le foudroya du regard pour bien lui faire comprendre qu’il valait mieux qu’il n’en rajoute pas plus s’il voulait qu’elle parte. Il se redressa en recevant le message et regarda ailleurs. La femme sortit un mouchoir de sa poche et lui essuya doucement les yeux et le nez avant de lui caresser une dernière fois la tête.

    « -Aller, maintenant il faut que tu suives ce monsieur, il va t’emmener jusqu’à la sortie. »

    L’enfant la scruta avec un regard plein d’humanité et après avoir calé son bagage dans son écharpe, elle prit timidement la main que le médecin tendait dans sa direction. En partant, elle regarda en arrière un dernier instant pour remercier la femme et vit son expression alors qu’elle partait à l’opposé. Un regard empli d’exaspération avec un rictus à la limite de l’antipathie et de la pitié. De sa main gauche, elle tassait un billet dans la poche avant de sa blouse sans même se rendre compte que l’enfant l’avait vu. La petite se redressa à la vue de cela, les yeux exorbités et fixa ses pieds sans dire un mot. Elle n’osait même pas regarder le visage de l’homme à qui elle tenait la main, de peur qu’il soit lui aussi caché derrière un masque de mensonges, qu’un bref instant il le perde et fasse apparaitre la véritable facette de l’être humain.

    Ils marchèrent en silence, parcourant les couloirs blanc cassé et slalomant entre les patients plantés sans gêne au milieu du passage. Elle sentait bien que le contact de sa petite main dans celle de cet homme le dérangeait plus qu’autre chose, mais il ne la retira pas pour autant, se contentant d’accélérer le pas pour arriver plus vite. Ils passèrent les deux portes principales et la petite fille vit la grosse femme plantée à 1 mètre d’eux, le pied tapant le sol avec irritation. Dès qu’elle les vit, elle se précipita vers l’enfant, l’arracha des mains du médecin en le fusillant du regard et la traina sans ménagement vers le fiacre. La petite n’eut même pas le temps de ressentir de l’appréhension en voyant le moyen de locomotion ou même de manifester sa douleur lorsque la femme la malmena ainsi car elle fut en quelques secondes projetée à l’intérieur du carrosse sur la banquette. La femme s’assit brusquement juste à côté d’elle, referma la porte et l’hippomobile démarra dans un claquement de fouet suivit de hennissements de contestation.

     

    Le médecin quant à lui resta un instant désemparé face à la brusquerie de cette femme, observa la calèche démarrer et irrité, cracha par terre avant de tourner des talons. Heureusement que sa promotion viendrait compenser sa journée pourrie, pensa-t-il avant d’entrer de nouveau dans l’hôpital.


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