• Chapitre 3: Le complot

    1 semaine avant l’arrivée de Madame Duchamps à l’hôpital.

    « -Comment ça UN ENFANT ?! hurla Mme Duchamps. »

    La grosse femme arracha des mains le télégramme que lui lisait son amie pour le lire à son tour, comme si ça avait été une mauvaise blague. Curieuse, Adélaïde tendait l’oreille tout en astiquant les fenêtres qui se trouvaient au bout de la pièce à quelques mètres de sa patronne. Elle écoutait rarement les conversations de Madame et de sa clique, mais rien que le mot « enfant » avait retenu son attention avec un gros pincement au cœur. Alors que Madame pâlissait plus elle avançait dans sa lecture, ses deux amies se taisaient et buvaient leur thé, gênées. Ces deux femmes passaient quasiment tous les après-midi pour prendre le thé avec sa patronne. L’une rousse et petite, elle était la plus bête des 3. Complètement nunuche et à l’ouest, elle passait son temps à poser des questions. Sa seule présence relevait de cette fidélité qu’elle gardait envers Madame. L’autre brune et aux quelques kilos en trop, elle réfléchissait beaucoup lorsqu’elle buvait son thé avec ses amies mais restait énormément crédule. Etre en leur compagnie la calmait et elle aimait cette famille isolée dans les bois mais n’arrivait absolument pas à cerner les véritables personnes derrière les Duchamps.

    Ces deux femme idolâtraient totalement leur amie et ne pouvaient s’empêcher de montrer leur respect et leur fierté envers elle. Lorsqu’elles ne passaient pas leur temps à lui avouer chaque merveille qu’elle faisait pour elles et l’aduler dans ses moindres gestes et détails, elles étaient distraites par l’arrivée de Monsieur Duchamps. Sa présence dans la demeure manifestait chez elles une sorte d’excitation mêlée à des gloussements et caquètements insupportables à l’oreille d’Adélaïde. Elle ne comprenait pas ce que ces femmes trouvaient à ces deux énergumènes, en particulier à cet homme. Fort heureusement, cette « panique à la bassecours » n’arrivait que très rarement étant donné que Mr Duchamps était souvent absent, au plus grand désespoir de ces femmes et au plus grand soulagement de son employée.

    « -Je suis désolée pour ces membres de ta famille… se permit la plus fine des deux amies.

    -C’est tragique tout de même, tu n’en avais plus que 3 et voilà que seule la petite a survécu à cet accident, ajouta l’autre en reprenant un gâteau.

    (La concernée balaya ces commentaires d’un revers de main dédaigneux.)

    -De toute façon, ils ne m’ont jamais considéré comme un membre de leur famille. Non mais, ils m’ont rejeté lorsque j’avais le plus besoin d’eux, et maintenant qu’ils sont tous morts, c’est eux qui ont besoin de moi ! Ils me prennent vraiment pour le dindon de la farce ! S’exclama-t-elle rouge de colère.

    -Oui, mais en l’occurrence ils sont morts, je ne pense pas que c’était volontaire, ma chère Duchamps, se moqua un tantinet la brune en sirotant son thé. »

    Le regard que Madame D dit tout sur son dernier commentaire. La brune se sentie gênée et décida de faire comme si elle n’avait rien dit.

    « -Que leurs est-il arrivé ? Demanda la plus simplette.

    -Un accident de calèche à 25 kilomètres d’ici. Tu sais, le fossé plutôt dangereux qui mène à Lateim, expliqua Mme D en se massant l’arête du nez.

    -Oh, effectivement, s’ils sont tombés là-dedans… Ce qui est étonnant c’est que la seule survivante fut l’enfant. J’aurai plutôt parié sur la femme ou le mari en ce qui me concerne. Et du coup… ?

    -Mh ?

    -Eh bien, quel est le problème ?

    (Madame réfléchit et lui répondit en la regardant droit dans les yeux.)

    -Je vais devoir m’occuper de cette gamine. Je suis devenue sa seule parente. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, je n’affectionne pas particulièrement les enfants et encore moins ceux de mon ancienne famille.

    -D’un autre côté, avoir un enfant a des avantages, rigola la brune.

    -Et je peux savoir lesquels à part te vider ton compte bancaire ?

    -C’est adorable lorsque c’est bien éduqué, ils font tes tâches ménagères, ne te dérangent pas, et tu peux même hériter d’un beau fils riche si c’est une fille ! Imagine, quelle aubaine ! »

    Adélaïde s’offusqua en entendant pareilles sornettes. Agacée par ces propos, elle frotta plus fort la vitre en se pinçant la lèvre. Un enfant n’était pas un esclave !

    « -Vu sous cet angle… Mais il aurait fallu qu’elle soit éduquée de cette manière dès le début, je n’en ferai plus rien à 9 ans.

    -Mais voyons, il n’y a pas d’âge pour apprendre les bonnes manières ! S’exclama la blonde.

    -Pour une fois, elle a raison. Et puis tu ne risques pas de toucher une grosse part de l’héritage en tant que dernière survivante de la famille ? »

    Son regard s’illumina un court instant. Adélaïde soupira intérieurement. Dès que Madame entendait parler d’argent, elle partait au quart de tour. Mais elle perdit vite cette lueur en comprenant quelque chose.

    « -Non. Il y a cette petite. Tout lui reviendra. »

    Un silence de mort s’installa dans la pièce mais fut brisé presque immédiatement.

    « -Dérangerai-je un moment de confession envers notre seigneur  ? Demanda une voix qu’Adélaïde connaissait bien. »

    Toutes les femmes présentes dans la pièce sursautèrent en même temps mais pas pour les mêmes raisons. Les deux amies échappèrent un petit cri similaire à un orgasme avant de glousser comme des pintades. Madame se retourna et lui fit son plus beau faux sourire tandis qu’Adélaïde retenait sa respiration les yeux exorbités. C’était lui.

    « -Chéri, te revoilà, tu tombes à point nommé, nous étions en plein dilemme, raconta Mme D.

    -Ah oui ? Dit-il avec un semblant d’ennui dans la voix.

    (Il posa sa mallette à côté du sofa de sa femme et resta debout derrière son fauteuil en posant ses mains sur ses épaules.)

    -Une arrivée imprévue dans la famille. Nous allons devoir régler ce problème en privé, raconta-elle en fixant ses amies avec insistance pour bien leurs faire comprendre le message. »

    Les deux dindes qui gloussaient en regardant Mr Duchamps mirent quelques secondes avant de réagir. Ce fut la plus dégourdie qui percuta le plus vite et qui transmit véritablement le message d’un coup de coude à sa voisine qui s’excitait toujours en rougissant. Les deux se levèrent avec hâte, posèrent sur la table-basse leur tasse et firent leurs adieux au couple qui leur répondit d’un au-revoir hypocrite. Adélaïde qui les accompagna vers la sortie, revint reprendre ses activités discrètement. Elle se mit à astiquer les fenêtres derrière sa patronne de peur d’être vue en train d’épier. Le couple attendit d’entendre la porte d’entrée se fermer derrière elles avant de retirer son masque dégoulinant de mensonges.

    « -Quel est donc le problème ? Commença l’homme en soupirant, agacé. »

    Il s’assit face à sa femme et sortit une cigarette. C’est à cet instant même qu’il reporta son attention sur la jeune servante face à lui. Il avait bien remarqué qu’elle les observait mais ne lui faisait comprendre que maintenant d’un rictus sournois. Elle se redressa, comme pétrifiée. Elle se mit à trembler. Elle n’arrivait pas à détourner les yeux de ces deux gouffres sombres qui l’observaient. Puis il détourna son attention vers la flamme de son briquet qu’il venait de faire apparaitre. Il pencha un instant la tête pour l’allumer avant de la redresser et de regarder froidement sa femme, ignorant totalement Adélaïde.

    « -Ma godiche de famille vient de périr dans un accident de la route. Et ce stupide télégramme vient de m’informer que je dois aller récupérer leur fille, seule survivante de l’accident. Regarde par toi-même, souffla-t-elle en lui tendant le papier. »

    Il le lut rapidement sans aucune émotion. Après trois quatre bouffés de fumé, il termina sa lecture et souleva un sourcil. Ricanant, il balança avec dédain la feuille sur la table avant d’étreindre sa cigarette dans une tasse. Puis, comme si cela était on ne peut plus normal, il lâcha :

    « -Tu n’as qu’à t’en débarrasser. »

    Adélaïde en perdit son chiffon. Avait-elle bien entendu ?!

    « -Tu voudrais que je l’abandonne dans la forêt ou que je la noie dans une rivière ?

    -Qu’importe, du moment qu’elle ne traine pas dans cette maison et encore moins dans mes pattes.

    -Et comment je fais pour l’héritage ? »

    Son sourcil se dressa une nouvelle fois et une lueur intéressée apparut dans son regard.

    « -Un héritage ?

    -Oui, si mes souvenirs sont bons, cela reviendrait à quelques centaines de milliers. Rien de quoi s’extasier, mais c’est toujours ça de pris.

    -Effectivement, ça change tout. (Il réfléchit.) Réflexion faite, tu devrais d’abord aller te renseigner à la banque avec la petite avant de la délaisser. Nous ne savons pas ce que le contrat stipule exactement, imagine qu’il soit seulement dédié à elle…

    -Il suffit qu’elle meurt dans ce cas. Plus de gamine, plus d’obstacle en travers de notre héritage.

    -Ca me semble bien. Je te laisse t’en charger, j’ai d’autres choses à faire. Essaye de faire ça discrètement, veux-tu ? Je ne voudrais pas qu’on ait de mauvaises idées sur moi à l’Assemblée.

    -Ne t’inquiète pas, je ferai ça proprement sans que ça ne te nuise, sourit-elle. »

    Ce fut la réflexion de trop, Adélaïde laissa échapper un hoquet de terreur. L’homme leva les yeux dans sa direction et lui fit son sourire le plus perfide. Il se leva et se dirigea vers elle. Figée, elle recula à peine, transie de peur. En voyant sa réaction, son sourire s’accentua. Il se posta devant elle et dit tout haut :

    « -Apparemment les murs ont des oreilles ! J’en connais une qui a l’air très intéressé… »

    Madame se retourna et la relooka avec un air menaçant.

    « -Je peux savoir ce que vous faites là, Adélaïde ? Siffla sa patronne.

    (Les yeux de la jeune femme faisaient des allers-retours entre ses deux employeurs.)

    -Je… Je nettoie les vitres, Madame…

    -Et quelle partie de ma phrase n’avez-vous pas comprise lorsque j’ai demandé à me retrouver en privé avec mon mari?

    -.Je-Je pensais que vous vous adressiez à vos amies… Et puis Mr Duchamps n’avait pas l’air désappointé en me voyant…

    -Eh bien ne pensez pas la prochaine fois !

    -Vous rejetez la faute sur moi en plus ? Se moqua froidement Mr D.

    -Pas du tout ! Se défendit-elle, la bouche pâteuse.

    -Maintenant que vous êtes au courant, rejoignez-nous, je suis sûr qu’on va pouvoir trouver un arrangement entre nous, susurra l’homme en posa sa main sur son épaule et en l’emmenant vers les fauteuils. »

    Son seul contact lui provoqua un haut-le-cœur. Il la planta face à eux deux et s’assit de nouveau en la scrutant d’un air amusé.

    « -Ne vous avais-je donc pas dit de ne pas vous mêler de nos petites affaires ? Lui rappela-t-il. Je vois que vous ne tenez pas vraiment à votre petite vie tranquille…

    -Je lui ai aussi fait remarquer d’être discrète et sourde à tout ce qu’il ne la regardait pas mais il faut croire qu’obéir n’est pas vraiment son fort, s’exaspéra Madame.

    - Devrions- nous en parler à Gustave ? Questionna le mari. »

    Le sang de la jeune femme ne fit qu’un tour. Ils… voulaient l’offrir au cuisinier ?! En sueur, elle ne pouvait s’empêcher de trembler de plus en plus fort en se demandant à quel moment elle devrait s’enfuir à toute jambe. Sa patronne cogita deux minutes, laissant bien le temps à Adélaïde de frôler l’arrêt cardiaque. Puis elle clama sa sentence.

    « -Non. Bien qu’elle ait l’oreille qui traine un peu partout, son travail est remarquable, il serait dommage de s’en séparer maintenant. Cependant, j’aurai bien un petit travail pour vous en plus.

    -Je te trouve bien généreuse aujourd’hui, ce n’est pas dans tes habitudes, reprocha le mari à sa femme, déçu.

    -Qu’attendez-vous de moi ?

    -Si cette petite venait à habiter chez nous, je veux que ça soit vous qui vous en occupiez en plus du ménage. Vous deviendriez notre gouvernante et devrez la surveiller en dehors de vos moments de nettoyage. De plus, tout ce que vous avez entendu/vu ou entendrez/verrez à l’avenir, je ne veux qu’en aucun cas cela s’ébruite et se propage à l’extérieur, est-ce clair ? »

    Adélaïde considéra sa proposition avec gravité. Si elle était venue ici, c’était pour oublier les enfants et sa vie passée, pas pour devenir une babysitteur. Et puis de telles conditions… Elle savait qu’elle risquait d’en voir de belles dans le futur maintenant qu’elle était considérée comme membre du complot. Elle savait qu’elle devait refuser, cependant elle n’avait nulle part où aller et ne s’était pas encore suffisamment reconstruite pour pouvoir de nouveau revoir le vrai monde. De plus, le regard presque fou des deux personnes face à elle lui fit comprendre qu’elle n’avait pas vraiment le choix. Elle déglutit, cacha les tremblements violents de ses mains en les joignant devant elle fermement et tenta d’oublier cette douleur à l’abdomen qu’elle avait. Elle se redressa, cala son expression la plus neutre sur son visage et répondit avec assurance :

    « -Oui Madame, si tel est votre choix, je l’accepte.

    -Parfait. Cependant veillez à ce que votre comportement d’aujourd’hui ne se reproduise pas, je ne serai pas aussi clémente la prochaine fois, la menaça-t-elle. »

    La jeune femme hocha la tête en signe de consentement. Le pacte était celé, elle ne pourrait plus revenir en arrière désormais. 

    Sur cette conversation, ils repartirent vaquer à leurs occupations. L’homme attendit que sa femme sorte de la pièce pour souffler à l’oreille d’Adélaïde juste avant de partir : « Je sens qu’on va bien s’amuser tous les deux. » Elle ne répondit pas et resta comme à son habitude immobile de dégout au simple contact de sa respiration contre sa peau. Elle n’aurait jamais dû accepter ce job. Tout en reprenant son souffle et son chiffon, elle songea à l’arrivée de cette petite fille dans la maison et à son passé.

     

    Elle n’imaginait cependant pas un dixième de ce qu’elle allait vivre les années à venir.


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