• « -Tu vas arrêter de traîner la savate, oui ?! S'époumona la grosse femme à l'attention de Jeanne. »

    Elles venaient toutes deux de quitter la banque et sa tutrice refusait catégoriquement de reprendre son calme. Jeanne, toujours suspendue et tirée par un bras, tentait tant bien que mal de la suivre avec sa jambe encore faiblarde. Mais ce n'était apparemment pas assez, elle continuait de lui crier dessus au milieu de la rue en lui secouant le bras comme un prunier.

    « -Mais qu'est-ce que je vais faire de toi ?! Tu ne sers à rien, tu es misérable, lente et bonne à rien ! Je n'arrive même pas à tirer bénéfice de ton malheur... ! Et cette femme voudrait que je te traite bien ?! D'ailleurs... Cette femme... !!! »

    Et elle continuait de s'agiter, de l'agiter et de hurler en plein milieu de la route comme une folle furieuse. Complètement désemparée face aux excès de rage incontrôlés et soudains de cette femme, Jeanne se demandait si elle n'aurait finalement pas dû rester à l'hôpital. Elle essayait vainement de retirer sa main de la poigne de fer de sa garante en tirant, ce qui ne provoquait que plus de colère chez cette femme. Elle fut cependant brusquement calmée par un cocher qui lui beugla de s'écarter de la route. Poussant un juron qui fit frissonner l'enfant, elle la tira de nouveau à sa suite en direction de leur voiture. Elle grommelait entre ses dents, toujours rouge de rage, transpirante et aux veines tambourinant contre la peau de son front. Arrivée, elle pressa Jeanne à l'intérieur de la calèche et la bouscula pour s'asseoir. D'un claquement vif, elle referma la porte et hurla la nouvelle destination au cocher : La demeure des Wandel. En entendant cela, Jeanne s'anima. Elle allait rentrer chez elle ! Elle en oublia pendant un instant sa mésaventure à la banque, juste le temps de lister tout ce qu'elle allait pouvoir revoir de nouveau, toucher, mettre. Pour elle, c'était comme si elle allait revoir ses parents. Comme si tout serait de nouveau comme avant lorsqu'elle aurait passé les portes de sa maison. Elle fut cependant tirée de ses pensées par sa tutrice qui la héla.

    « -Je te jure que si tu n'es pas plus attentive que ça, jeune fille, ça va mal finir entre nous !

    -Pardon...

    -Ouvre tes oreilles, je ne te le répéterai pas 15 fois. Nous allons rester pour la nuit chez toi, je veux que tu me dises exactement où ton père rangeait ses papiers, est-ce clair ? Je dois les avoir avant demain matin, après nous repartirons.

    -Oui... (Elle se tut un instant avant de reprendre timidement.) Je pourrai prendre mes affaires avant de repartir?

    -Seulement si je trouve ce que je cherche.

    -D'accord, dit la petite en hochant de la tête. »

    Le marché qu'elles avaient conclu lui semblait équitable, en plus, elle allait pouvoir revoir George. Lui saurait exactement où les papiers dont elle parlait se trouve. Elle récupéra l'anneau de sa mère qui se trouvait dans son petit tas de vêtements déchirés et le serra fort dans sa paume en se remémorant bon nombre de souvenirs. Les émotions se mélangeaient en elle au fur et à mesure que ses doigts jouaient avec la bague. Tristesse, doute, incompréhension, excitation, peur. Elle n'arrivait pas à imaginer ce que le futur lui réserverait, il était presque aussi flou que ses souvenirs heureux ensevelis sous l'horreur de l'accident. Seul cet anneau, comme s'il était empli d'une magie inconnue, lui permettait de revoir sous forme de flashs certains événements datant du temps prospère où ses parents vivaient encore. Mais cette magie n'était pas seulement bienveillante, à force de s'en délecter elle se renfermait sur elle-même, s'assombrissait. Elle aurait pu se retrouver avalée par les ténèbres de son cœur de la même façon qu'à l'hôpital si sa tutrice ne l'avait pas secouée un bon coup. Encore une fois.

    « -On est arrivé, bouge-toi. »

    A sa suite, elle posa un pied maladroit sur la marche de la calèche et releva la tête après avoir retrouvé la terre ferme. Devant elle, sa maison. Un flot de sentiments la submergea et pas seulement en regardant sa demeure mais surtout en voyant George courir gauchement dans sa direction, les bras grands ouverts. Elle mit l'anneau à son pouce, seul doigt pouvant l'accepter, et courut à son tour en oubliant la douleur un instant. Elle lui tomba dans les bras, de chaudes larmes vinrent mouiller son costume de majordome. Ses mains gantées tremblaient en même temps qu'elles encerclaient fortement la tête de la petite. L'enfant pleurait de chagrin, de désespoir mais aussi de soulagement en voyant qu'au moins une personne était encore là pour elle. Elle sentait que le vieil homme pleurait aussi, elle pouvait imaginer des larmes dégouliner de ses joues entre ses rides et arpenter sa moustache blanche avant de terminer leurs courses effrénées contre sa tête à elle. Finalement, il s'écarta doucement de Jeanne et posa ses mains sur ses épaules avant de l'observer.

    « -Mon enfant, comme je suis content de te revoir... J'ai cru que tu étais toi aussi...

    -George, ils sont... Ils sont... !!! Sanglota-t-elle en se frottant les yeux.

    -Je sais, ma pauvre enfant... Oh mon dieu, comme tu es blessée... ! Se désola-t-il en la voyant le bras en écharpe et des taches jaunâtres sur plusieurs endroits de sa peau. Aller... Ça va aller, calme-toi... (Il sortit son mouchoir en tissu et lui sécha ses larmes.)

    -George...Tu- »

    Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'une puissante poigne la tira en arrière. Elle atterrit contre une forte poitrine et une main vint écraser son épaule valide. Sa tutrice était là.

    « -Je peux savoir qui vous êtes ? »

    L'homme resta un instant interdit à la vue de cette femme. La petite qui l’observait, intriguée, se demanda ce qui lui arrivait en se figeant ainsi. A peine s’était-il perdu dans ses pensées ou réflexions qu’il reprit vie comme si son âme était de retour. L'éclipse passa inaperçue pour Mme Duchamps qui paraissait trop occupée à se concentrer pour garder son sang-froid.

    « -Le majordome de cette maison, madame... Et vous ?

    -Madame Duchamps, on m'a relégué cette petite ce matin. Je suis venue récupérer ses affaires ainsi que des dossiers de Charles. Nous resterons d'ailleurs ici jusqu'à demain.

    -Bien madame, dans ce cas, suivez-moi, je vais vous trouver une chambre où vous installer pour la nuit. »

    La femme le scruta l’air suspicieux et, après avoir prévenu le cocher, le suivit finalement en poussant nonchalamment la petite devant elle pour qu’elle avance. Suivant le chemin de gravier menant à l’entrée principale de la maison, Jeanne put examiner plus attentivement le paysage. Rien n’avait changé ici et pourtant tout était différent dans sa vie. Les bosquets étaient toujours aussi bien taillés, les roses commençaient à s’ouvrir, laissant paraître une infime partie de l’intensité de leur rouge. Aucune mauvaise herbe en vue, aucune branche de travers et pourtant elle ne voyait pas Roger le jardinier. Aurait-il prit congé ? Elle s’attarda ensuite sur sa demeure, une maison bourgeoise typiquement française à 3 étages munis de chacun 4 fenêtres aux volets blancs. Elle était en deux parties, l’une accueillant le domaine principal avec ces salons, bureaux, et l’autres les chambres et la cuisine au rez-de-chaussée. Contrairement à ce qui aurait dû se produire en se rapprochant de l’entrée, elle ne sentit pas la douce cuisine de Charlotte flottant dans l’air, pas plus qu’elle n’entendait le son des casseroles s’entrechoquer. Tout était si silencieux. Comme si tous étaient partis.

    George ouvrit doucement la porte d’entrée, les laissant toutes les deux passer en premier. Jeanne en profita pour lui lancer un regard interrogateur auquel il répondit en secouant la tête d’un air triste. La bonne femme inspecta l’entrée, les meubles et les coins de plafond d’un œil professionnel et minutieux avant de rétorquer :

    « -J’ai connu plus propre ! »

    Le majordome se contenta de s’excuser en souriant avant de l’entrainer à l’étage pour lui montrer sa chambre. Ils montèrent tous les escaliers, mais Jeanne finit par se séparer d’eux sur le palier, partant discrètement en direction de la sienne. Elle hésita au début, mais voyant que la grosse femme avait d’autres chats à fouetter pour l’instant, elle se permit cette petite liberté. S’en allant à l’opposé, elle finit par tomber sur sa porte où de vieilles lettres datant de sa plus petite enfance trônaient encore dessus en formant son nom. Elle posa sa main sur la poignée et l’abaissa délicatement. La porte s’ouvrit, laissant place à son petit monde de princesse. Rien n’avait changé, ses étagères étaient toujours autant encombrées par ses peluches, bibelots et ses faux bijoux. Elle remarqua même avoir oublié de fermer l’un des tiroirs juste avant de partir. Il faut dire qu’elle avait vraiment été pressée ce jour-là, au point de faillir oublier de mettre ses collants, alors elle était remontée en hâte et l’avait laissé grand ouvert.. Elle s’avança dans la pièce pour le fermer, slalomant entre les deux poupées solitaires délaissées sur le sol. Elle eut soudain une idée. Elle se mit à farfouiller dans sa boite à bijoux et en sortit une chaine en argent jonchée d’une petite tour Eiffel de pacotille. Jeanne retira adroitement l’anneau de sa mère de son doigt et remplaça le mini monument par la bague. Jugeant un instant son travail, elle fut finalement satisfaite et passa le collier autour de son cou avant de l’attacher. Maintenant, cet anneau serait toujours avec elle.

    Elle se retourna pour de nouveau se délecter de tous les souvenirs qui planaient dans cette pièce. Mis à part son bureau, jonché d’affaires scolaires, de son coffre à déguisements et de son armoire à robes, il ne restait plus que son lit à baldaquin. Il était sa plus grande fierté, le plus beau meuble de sa chambre.  Dissimulé sous ses rubans et ses longs draps de soie, il cachait un matelas moelleux et des couvertures à dentelles d’une finesse exquise. Elle se souvenait des soirées où sa mère ou son père venaient se coucher à côté d’elle pour la border ou même discuter, il était tellement grand qu’il pouvait les accueillir tous les 3 en même temps. Dans ses moments-là, ils venaient souvent pour lui raconter une histoire, d’ailleurs… Juste à côté, sur sa table de chevet, était abandonné le dernier livre qu’elle avait lu : un conte de fée. Elle le prit entre ses mains et feuilleta les pages, se souvenant immédiatement de ce récit : la petite fille pain d’épice. Les illustrations l’avaient enchantée et le lire en présence de ses parents avait été fabuleux, tellement fabuleux qu’elle leur avait cassé les pieds pour qu’ils lui achètent à son tour une boite de crayons de couleur. Elle pensait à ce moment qu’elle pourrait elle aussi dessiner des dessins utopiques de ce style.

    Malheureusement, ce boitier avait été abandonné sur le bureau sans qu’elle puisse y toucher ou même l’essayer, l’accident l’en avait empêchée… En apercevant de nouveau cette boîte en bois ornée de gravures dorées, elle ne put s’empêcher de pleurer. Et dire qu’elle s’était disputée avec eux juste avant leur mort. Elle se revoyait, quelques mois plus tôt, piquer une crise lorsqu’on lui avait annonçer qu’ils étaient invités chez des clients importants de son père, et ceci au moment même où elle allait inaugurer ses nouveaux crayons. Sa mère lui avait formellement interdit de partir avec, soit disant trop précieux pour être transportés et qu’elle n’était pas assez soigneuse pour les emporter. Elle avait alors crié, pleuré de colère, tapé du pied et même envoyé voler les deux poupées qui se trouvaient toujours au sol. Elle en avait perturbé toute sa toilette alors que sa mère essayait en vain de l’habiller convenablement. Tellement que ce fut à cet instant qu’elle en oublia le collant et que l’enfant allait devoir le chercher quelques minutes après, laissant le tiroir grand ouvert.

    Son père avait alors sévi en la voyant malmener ainsi sa mère : Excédé, il l’avait giflée en lui ordonnant de se calmer et de se conduire correctement. Son père s’énervait rarement et la frappait encore moins souvent, seulement lorsqu’elle dépassait les bornes. Même en sachant qu’elle avait franchi les limites, elle n’arrivait pas à s’en remettre et bouda ce jour-là, les yeux emplis de larmes de crocodiles, pendant tout le trajet. Sa mère, ne pouvait s’empêcher de se moquer d’elle en la voyant ainsi, les yeux bouffis, les joues gonflées et rouges et une moue contrariée sur le visage. Et alors qu’elle lâchait un petit gloussement dans la calèche en la taquinant, que Jeanne piaillait en la voyant se moquer, un violent soubresaut fit dégringoler le carrosse et pousser un hurlement à tous les occupants de la voiture. Son père ne réfléchit pas un instant, il croisa le regard de sa femme et les yeux écarquillés, se saisit de la petite par la taille tandis que la mère ouvrait la porte. Ils lui lancèrent tous deux un dernier regard emplis de terreur et la balancèrent par-dessus le bord. Elle dégringola vers la forêt, voyant au ralenti la collision de la calèche contre les arbres. Elle allait elle aussi finir par atterrir, elle allait de nouveau sentir ses os se briser et cette branche se planter dans son flanc. C’était la dégringolade interminable jusqu’à ce que...

    Ses genoux heurtèrent violemment le parquet, la faisant revenir à la réalité. Les yeux exorbités, de longs ruisseaux dégoulinants le long de ses joues, elle venait de revivre sa chute et l’accident encore plus violemment que les fois précédentes. Sa respiration était saccadée, semblable à une crise d’asthme. Terrorisée, elle regarda autour d’elle, les meubles étaient immenses, presque interminablement démesurés. La pièce s’agitait en cadence de ses pleurs, les objets aussi, même ses poupées. Elle se sentait étouffer, mais trop faible pour sortir, elle ne bougeait pas, se contentant d’agoniser sur le parquet. La dance ne s’arrêtait pas, comme si elle était encore en train de vivre cette dégringolade vertigineuse. Tout s’agitait, sauf son Rabbit. Sa peluche était affalée à quelques centimètres d’elle sur le sol, juste en contrebas du lit. Il avait dû tomber de sa couche et Jeanne avait besoin de consolation, d’un soutien, même imaginaire. Maintenant. Elle rampa vers lui et le saisit d’une main tremblante. D’un geste maladroit, elle le colla à son visage en s’écroulant sur le tapis à côté sanglotant dans le tissu de son doudou. Il sentait le réconfort, cette odeur si particulière qu’elle ne retrouvait que sur lui. Cela l’apaisait, elle retrouvait petit à petit une respiration normale et ses larmes cessèrent, laissant juste place à un visage mouillé et un nez dégoulinant. Elle ne bougea pas pendant de longues minutes, examinant le plafond, l’esprit ailleurs. Elle devait faire sa valise, il était hors de question qu’elle laisse tout ce qui la liait à son ancienne vie ici. Elle se leva avec difficulté et arpenta la pièce à la recherche d’un bagage. Elle tira sa valise brune de sous son lit et l’ouvrit. Vide. Elle posa Mr lapin sur son matelas et s’activa à vider ses placards à vêtements, prenant le nécessaire. Entre temps, elle changea de vêtements et se permis de mettre sa petite robe bleue que ses parents ne voulaient qu’elle mette que pour les grandes occasions. A en juger la situation, elle considéra qu’elle avait largement le droit de la porter. Elle changeait de maison après tout, même de parents ! Elle continua ensuite sa valise, récupérant quelques-uns de ses livres favoris ainsi que cette boite de crayons toute neuve et les plaçant juste au-dessus de ses vêtements. La valise presque pleine, elle scruta un instant la pièce. Si elle avait pu, elle ne serait pas partie, ou elle aurait emporté ses meubles. Surtout son lit.

    Sa rêverie fut soudainement interrompue par la voix de Madame Duchamps. Elle beuglait dans la maison son nom, elle la cherchait. Paniquée, elle cacha rapidement sa valise sous le lit et se leva précipitamment avant de cacher son pendentif derrière ses habits. Elle aurait voulu faire mine d’être occupée à quelque chose, histoire qu’elle ne paraisse pas suspecte, mais elle n’eut pas le temps, sa tutrice débarqua d’un pas vif dans sa chambre, furibonde. Elle s’arrêta un instant avant de la toiser avec mépris.

    « -Je peux savoir ce que tu fais debout au milieu de ta chambre ?

    -Je…

    (la grosse femme remarqua un coin de la valise dépassant de sous le lit et grimaça.)

    -Tu n’écoutes vraiment rien, hein ? »

    Elle se planta en face de l’enfant et sans que Jeanne ne s’y attende, elle la gifla de toutes ses forces. Surprise, la fillette en perdit l’équilibre et valsa par terre. Elle posa sa main sur sa joue et la regarda avec de grands yeux, éberluée.

    « -Maintenant ouvre grand tes oreilles, petite demeurée, (elle lui attrapa le menton entre sa main et l’obligea à la regarder droit dans les yeux.) je ne suis pas venue ici pour rassembler toute ta petite toilette, je suis venue pour les papiers d’héritage, tes effets personnels t’accompagneront seulement si j’obtiens ce que je recherche, est-ce clair ?

    -Mais je ne sais vraiment rien !

    -Bien sûr que si, tu habites ici, non ?

    -Mon papa m’interdisait de toucher à ses affaires, je ne sais pas où il range tout ça !

    -Bien. Il faut croire que tu n’es pas suffisamment stimulée pour obéir… »

    L’enfant, la joue rouge et brûlante, les larmes aux yeux, l’observa, désespérée.  Les yeux de sa tutrice dévièrent un bref instant vers son cou. La petite se pétrifia. Oh non.

    La femme tira sur la chaine qui dépassait brièvement de son vêtement, laissant apparaitre l’ensemble du collier. Elle posa ses doigts boudinés autour de l’anneau et s’en saisit soudainement d’une forte poigne. Elle tira violemment la chaine, étranglant un moment l’enfant jusqu’à ce qu’elle se brise. Elle fut apparemment satisfaite de ce qu’elle venait de faire car elle se releva avec assurance, le collier toujours enfoui dans sa paume. Elle sourit mesquinement à Jeanne qui commençait à paniquer.

    « -Non, rendez-le moi, c’est à ma mère ! Hurla la petite.

    -Oh, à ta mère tu dis ? Eh bien j’imagine qu’elle ne verra pas d’inconvénient à ce que je te le rende plus tard, non ? Lorsque tu auras trouvé ce que je veux.

    -Mais je ne sais pas où mon père range ses dossiers !

    -Tu ne dois donc pas vraiment tenir à ton collier. J’ai remarqué que vous aviez un puits dans votre jardin, je me demande jusqu’à quel point il est profond…

    -Non ! Ne faites pas ça, je vous en supplie !

    -Fais ce que je te dis alors, pas de papier, pas de collier. C’est pourtant simple, non ?

    -D’accord, je vais le faire, mais ne jetez pas mon pendentif dans le puits, s’il vous plait !

    -Tu sais ce qu’il te reste à faire dans ce cas. Tu as jusqu’à demain matin. Sinon tu n’auras plus qu’à aller le chercher. »

    Elle relâcha le visage de l’enfant d’un geste sec et se releva. Elle la regarda une dernière fois avec mépris avant de se retourner et de quitter la pièce, faisant voltiger les volants de sa robe. Ce fut à ce moment que George décida d’entrer en scène, il se précipita vers l’enfant encore à terre en craignant sa réaction. Allait-elle pleurer, s’énerver ? Avec sa joue enflammée, l’accident, le chantage et la violence de cette femme, elle avait de quoi pleurer. Mais à son plus grand étonnement, elle se redressa et le regarda droit dans les yeux.

    « -George, il faut que tu m’aides à trouver ces papiers.

    -Bien sûr, j’ai vais essayer, mais je ne sais pas plus que toi où ton père rangeait toute sa paperasse, Sophie aurait été là, elle aurait pu nous le dire…

    (La petite commença à se diriger vers le bureau de son père, 2 couloirs plus loin. Il la suivit tout en l’écoutant.)

    « -Où est-elle partie ?

    -Après la mort de tes parents, tous les employés de la maison sont partis un à un. Les servantes comme Sophie furent les premières, puis les cuisiniers dont Charlotte, Roger le jardinier, et même les livreurs ont arrêté de passer, aujourd’hui il n’y a plus que moi, soupira-t-il en souriant tristement.

    -Pourquoi es-tu resté ? Demanda Jeanne d’une voix pleine de reproches.

    -J’étais sûr que tu allais bien et que tu reviendrais. Les autres ne voulaient pas me croire, mais maintenant que je t’ai devant moi, je me dis que mes intuitions ne sont finalement pas si rouillées que ça.

    -Tu vas partir après mon départ ?

    -Oui, je ne peux pas rester dans cette maison indéfiniment, j’aimerai voyager de nouveau, il faut aussi que j’aille fleurir la tombe de ma femme… »

    L’enfant le considéra avec gravité avant de poser une question risquée.

    « -Tu ne voudrais pas m’emmener avec toi ? »

    Il l’examina et lui sourit chaleureusement.

    « -Tu es toujours la bienvenue auprès de moi, tu sais. »

    Ravie, l’étincelle enfantine dans son regard se raviva une minute avant d’arriver dans le bureau de son père. Des étagères meublaient la totalité des façades de la pièce, tous remplis de dossiers. Son bureau au centre de salle était resté tel quel, c’est-à-dire un vrai chantier d’écolier. Des feuilles étaient éparpillées, des livres renversés, marquant ainsi des pages qui avaient dû l’intéresser, des stylos se baladaient un peu partout, certains encore ouverts. Seule la fenêtre éclairait ce bazar. Elle pouvait le revoir assis juste derrière le bureau, la tête appuyée contre sa paume, frottant sa tignasse brune rebelle. Il aurait relevé la tête dans sa direction et aurait effacé toute trace de fatigue sur son visage en lui faire son plus beau sourire. Mais le souvenir de son père s’effaça comme un courant d’air aussitôt que la main de George se posa sur son épaule.

    « -Nous allons y passer du temps, tu ne veux pas manger avant ? Le soleil va bientôt se coucher.

    -Non, c’est bon, merci, et puis je doute que Madame Duchamps soit ravie si elle me voit en dehors de ce bureau, grimaça-t-elle en lui montra sa joue encore rouge.

    -Tu as raison… Je vais tout de même- »

    Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’on criait son nom depuis l’étage du dessous.

    « -Quand on parle du loup… soupira George. Je reviens dès que j’en ai fini avec elle, d’accord ?

    -Mh ! Acquiesça l’enfant. »

    Et il l’abandonna pour redescendre servir sa tutrice. Elle resta un instant immobile, essayant de déterminer par quel côté, étagère, tiroir elle devrait commencer. Elle décida de débuter par les étagères du fond. Elle tira la chaise de bureau et s’assit dessus après avoir décroché tout un tiroir remplis de paperasse. Elle prit au hasard une feuille et tenta d’en décrypter le contenu. Elle fut frappée par la réalité à l’instant même où elle posa son regard sur le premier paragraphe. Des mots compliqués qu’elle n’avait pour la plupart jamais lus ou entendus et parfois des rangées de chiffres. Une boule se forma au fond de sa gorge. Avec le capharnaüm de cette pièce, tous les dossiers traitant des forges Hayange que son père gérait autrefois, sans compter son niveau de lecture encore bien faible du haut de ses 9 ans, elle n’allait jamais y arriver en seulement une nuit. Elle tenta de calmer sa tristesse qui se déchaînait dans son cœur et entreprit son tri à la lumière du coucher de soleil.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique