• « Au secours, elle veut pas me lâcher ! Elle a complètement pété une durite !! »

    Mayumi hurlait et gesticulait en essayant de se débarrasser de la fille féline qui s’était perchée sur sa tête et fourrageait ses cheveux en grondant et feulant, à la recherche de son sachet d’herbe à chat. Tamalice tentait désespérément de faire lâcher prise à cette dernière, paniquée à l’idée du fauve de quarante bons kilos décidé à faire la peau à la blonde, et poussait des petits cris apeurés en sautillant et en tournant autour de Mayu et de son agresseur. Pitch se débattait derrière elles, la pince toujours accrochée à la narine, et essayait en vain de la déloger en tirant dessus comme un forcené, tandis que Jack, au visage lacéré par Mélo, subissait les harcèlements sexuels de la splendide Mary-Sue, bien qu’un peu défigurée par le cocard qui enflait sous son œil et elle-même assaillit par Quenotte, qui voyait d’un très mauvais œil qu’une fille fasse du gringue à SON maître. Le tout vu de l’extérieur était un capharnaüm humain grognant, tapant, miaulant, criant et minaudant, bondissant en tout sens de manière totalement anarchique. Ils étaient sortis des égouts en plein milieu d’un carrefour, et autour d’eux s’accumulaient des carrosses et des charrettes, leur conducteur commençant à râler et à les menacer, alors que les piétons s’imposaient une distance respectueuse, voire changeaient de trottoir pour s’éloigner d’eux le plus possible.

    « Arrête de bouger Mayu ! T’es en train de l’énerver ! » S’écria Tamalice, affolée par le vacarme qui heurtait ses oreilles d’elfe.

    « -Elle est déjà énervée, vociféra le croquemitaine, envenimant la situation, furieux. La blonde parvint à recouvrir un peu de son calme et intervint :

    -Il faut partir d’ici, le bruit la rend dingue et quelqu’un va finir par nous casser la figure si on reste au milieu de la circulation ! »

    La troupe cessa quelques secondes son cirque et remarqua qu’elle n’avait pas tort ; en effet, plusieurs personnes s’approchaient d’eux en braillant des injures et faisant des gestes véhéments. Ni une ni deux, ils prirent leurs jambes à leur cou jusqu’à une ruelle proche et plus tranquille.

    Jack s’adossa au mur, essoufflé, rapidement imité par tous les autres membres de leur groupe, exception faite de Mélo, qui se détendait peu à peu, rétractant ses griffes de la tête de Mayumi. Il s’adressa à cette dernière, cordialement, avec son plus doux sourire : 

    « Jolie toque de fourrure, même le Père Noël serait jaloux. » La blonde rosit de plaisir et commença à gagatiser, tandis que Pitch et Mary-Sue tiraient la tronche, l’un à la mention de son ennemi, l’autre par jalousie pure et simple. Tous enfin soulagés de s’être tirés de cette situation, ils apprécièrent quelques secondes de silence, l’elfe proposant son aide au maître des cauchemars pour se débarrasser de la pince à linge récalcitrante et la fille-fauve ronronnant discrètement pour finir par descendre de la tête de son hôte, s’effondrant au sol, le ventre vers le ciel et dire :

    « C’est de la bonne, ça. »

    Elle tendit la patte vers le sachet d’herbes tombés des mains de Mayu, d’un coup tous hurlèrent un ‘’NOOONN !!!’’ Tonitruant en se jetant sur elle, la comprimant sous leur poids tandis que seule sa main ornée de coussinets sortait de cette mêlée, vacillante, à quelques centimètres à peine de la bourse tant désirée. La fille aux cheveux roses se tourna du mieux qu’elle pouvait vers son amie et annonça jovialement :

    « On aurait fait une bonne équipe de rugby quand même. »

    ***

    Les cinq victimes de cette aventure déambulaient dans les rues, suivant Mélo qui se massait le dos d’une main et tenait son énorme sac de voyage de l’autre, poussant de petits couinements malheureux et leur jetant parfois un regard mauvais. Après leur altercation pour le moins physique, ils avaient décidé de confisquer le sachet d’herbe à chat, encore douloureusement conscients de la catastrophe qu’un si petit objet avait provoqué. Pitch l’avait tenu en l’air tandis que la féline, désormais inoffensive sans l’influence de son herbe, sautillait devant lui en essayant d’atteindre la main dans laquelle il gardait la musette.

    Les autres avaient finalement réussi par la convaincre d’abandonner pour le moment, et ils s’étaient tous mis en route en direction de l’auberge que leur guide leur avait promis, leur proposant une chambre lorsqu’ils étaient encore dans la rivière.

    Ils arrivèrent devant une bicoque décrépie qui aurait bien eu besoin d’une remise à neuf, dont les rideaux déchirés pendaient tristement aux fenêtres, et de certaines s’échappaient des bruits de ronflements gras et épais ou des disputes. Une assiette traversa à toute vitesse une vitre, comme catapultée et une voix de femme invectiva quelqu’un d’insultes colorées. Une bande d’hommes éméchés avachis au pied de la façade jetèrent des regards égrillards aux jeunes femmes, qui frissonnèrent et eurent fugitivement l’impression d’être à poil. Un ange passa.

    « On dort dehors ? »

    Personne n’eut l’idée de protester. Ils se regardèrent, mal à l’aide, et se retournèrent en entendant la voix de Mélo, quelques mètres plus loin.

    « Bon, vous allez rester plantés là encore longtemps ? Je vous attends moi ! »

    Elle était sur le trottoir d’en face, devant un charmant établissement aux murs immaculés et aux volets rouges et vernis, tapotant du pied, les bras croisés en les dévisageant.

    Ils comprirent avec un soulagement immense que c’était l’auberge où ils allaient passer la nuit.

    « -Je suis sûr qu’elle nous a fait croire qu’on allait dormir dans la pétaudière pour se venger de l’herbe à chat » maugréa Mary-Sue.

    ***

    « Vos plus belles suites pour des clients d’exception ! » tonna Tamalice en poussant de ses bras largement écartés les deux panneaux de la porte d’entrée. Le silence se fit dans la salle tandis que tout le monde se tournait vers les six nouveaux arrivants, et la fille qui beuglait en particulier. On entendit un criquet bruiter alors que les occupants et les serveuses fixaient intensément leur groupe, immobiles.

    « Forcément, il fallait qu’on se fasse remarquer. Ce n’aurait pas été plus facile autrement, hein ? » grinça le croquemitaine, irrité par toute cette attention, le seul du cortège à part Mélo à ne pas s’être ratatiné sous la puissance des regards. Le criquet bruissa une seconde fois. Ils se dirigèrent lentement vers le comptoir derrière la fille chat, une quarantaine de pairs d’yeux réprobateurs les suivant. Elle arriva au bar et patienta le temps que la matrone cesse de les dévisager et leur demande ce qu’ils voulaient, les conversations reprenant lentement.

    « Mes compagnons et moi-même sommes à la recherche d’un endroit où dormir ce soir, expliqua posément le petit fauve, nullement gênée pour un sou. Il vous reste de la place ?

    -Bien entendu, nous avons encore plusieurs chambres disponibles. Combien en voulez-vous ? »

    Tous se toisèrent, comprenant l’enjeu de la question. En un instant ce fut une cacophonie d’exigences qui éclata aux oreilles de la tenancière :

    « Une chambre très loin de Frost ! Je n’ai pas besoin de plus !

    - Un lit double pour Pitch et moi, un lit double pour Mayu et le prépubère, la vacharde dort dehors et ce sera parfait !

    - Heu, les gens…

    - Un lit trois places pour Moi et ces deux fringants hommes ; peu importe les deux souillons, elles peuvent dormir dans les écuries, c’est leur place après tout.

    - Ca va pas, hors de question que je dorme avec ce type ? C’est un dégénéré, un criminel !

    - Heu, dites…

    - Pour qui tu te prends, Frost ? Tu te crois meilleur avec tes prétendus principes ?

    - Ca va, on ne te dérange pas, petite pétasse ? Pendant que t’y es, impose la polygamie et épouse-les !

    - Hého…

    - Moi, au moins, je n’ai pas failli plonger le monde dans la peur et les ténèbres !

    - A bien y réfléchir, oui, vous m’emmerdez. Et…

    - VOUS ALLEZ LA FERMER, OUI ?!? »

    Ce fut le silence une nouvelle fois dans l’auberge lorsque tout le monde fixa Mayumi, médusés, alors qu’elle-même s’étonnait de sa soudaine audace. Mélo la contempla aussi quelques secondes, les yeux ronds, avant de reprendre sa conversation avec la patronne.

     Elle en profita pour détailler l’endroit où ils se trouvaient. C’était un large hall au sol pavé, les murs ornés de boiseries, éclairé par la spacieuse cheminée dans laquelle crépitaient plusieurs bûches. Les serveuses aux grandes jupes bariolées slalomaient entre les tables où discutaient tranquillement ce qui semblait être principalement des commerçants et des voyageurs, hommes, femmes et enfants. Seuls quelques éclats de rires venaient ponctuer l’atmosphère chaleureuse et tranquille.

    « Une chambre, ce sera parfait. »

    Son attention revient vers la fille-chat, tout comme celle des quatre autres.

    « Heu, attendez, comment ça, une chambre ? » Intervint Tamalice, déconcertée. Elle reprit quasi-immédiatement : «  Je veux dire, on ne va pas tous tenir dans une chambre… » Tous hochèrent de la tête avec application, et May s’apprêtait à dire quelque chose lorsque Mélo leur répondit, la bouche en cœur :

    « Je vous avais dit UNE chambre. »

    Ils ne réagirent pas.

    « Je n’ai pas assez d’argent. »

    Ils ne réagirent pas.

    « Vous vous y accommoderez. »

    Ils ne réagirent pas.

    « C’est assez grand pour nous six. »

    Ils ne réagirent pas.

    « De toute manière, c’est comme ça et pas autrement. » Conclua-t’elle, la bouche toujours en cœur.

    Quelques secondes passèrent, et un tirage de tronches à faire peur général vint animer leurs visages alors qu’ils comprenaient ce que faire dormir deux ennemis mortels et trois filles qui se faisaient une guerre de principes farouche dans la même chambre, dans le même lit, impliquait.

    « C’est-comme-ça-et-c’est-pas-aut-re-ment… » Chantonna Mélo, un sourire qui se foutait ouvertement d’eux à la figure, jubilant presque.

    « Je suis sûre que c’est pour se venger de l’herbe à chat » répéta Mary-Sue dans un grincement alors qu’ils montaient les escaliers pour aller dans leur chambre.

    ***

    Mélo, digne héritière de Mary Poppins, avait sorti de sa besace un sac de couchage, un matelas, des draps et plusieurs oreillers, et s’était assoupie au pied du lit où régnait le désordre le plus total dans un vacarme phénoménal.

    Les deux Légendes, les deux étudiantes et la sublimissime fille parfaite étaient proprement en train de se foutre sur la gueule pour la défense de leurs intérêt dans le pieu à la superficie limitée.

    « Si jamais tu me touches, vociféra Jack, une lueur de haine dans les yeux, je te dézingue !

    -Tama, tu me pique mon bout de couette là, se plaignit Mayu en agrippant le peu de tissu qu’il lui restait, et je ne veux pas avoir les pieds qui dépassent ! Et ne me demandez pas de partager mon oreiller !

    - Alors je vais dormir avec le grand Jack Frost, c’est ça ?! Que ce soit clair, espèce de demi-portion, je te tuerais si tu t’approche de moi, menaça le Croquemitaine, dévoré des yeux par Tamalice, qui quelques minutes plus tôt s’était mise en position étoile de mer et avait agité les bras et les jambes comme lorsque l’on trace un ange dans la neige afin de s’assurer autant d’espace qu’elle voulait. Elle intervint à son tour :

    - On n’aura pas assez de place pour tout le monde, il faudrait que certaines personnes acceptent de dormir par terre ; et désolée Mayu, c’est pas facile là…

    Quelques poings volaient malencontreusement par-ci par-là, heurtant des nez, des épaules, provoquant des grognements de la part des victimes et faisant monter d’un cran le mécontentement général.

    - Dormir par terre, moi ? Tu es folle, tu devrais même être la première, avec l’autre crétine des Alpes, à me céder la place, croassa May, qui essayait de se coller le plus possible à l’un et l’autre des deux hommes. Je suis une princesse ; une princesse, que dis-je ? Je suis une reine, une impératrice ! Et j’exige recevoir les honneurs qui me sont dus !

    - Le seul honneur que t’auras, c’est celui de mon pied quand il viendra botter ton cul ! Ton cul, tu sais, le monument que tout le monde fait la queue pour visiter, riposta Tamalice.

    - C’est toi qui dis ça, sale gueuse ?! Le tien, il est tellement large que tu ne pourrais même pas te placer entre Jack et Pitch, hurla-t‘elle en désignant les deux mètres qui séparaient les Légendes. L’elfe se leva, furibonde, alors que l’autre se mit à reculer à toute vitesse sur le lit devant son air furieux. Elle choppa la brune au collet et lui colla un coup de boule magistral, avant d’ouvrir la fenêtre et de l’y jeter.

    N’en resta plus que quatre.

    «  Tama, tu me mets tes pieds froids dans le dos, j’ai horreur de ça ! Geignit Mayu en se tortillant, avant d’enlacer avec un gazouillis content l’esprit du froid, qui beugla qu’il en avait marre de ses étreintes poulpesque et alla s’installer de l’autre côté du lit. De l’autre côté du lit. Là où s’était installé Black pour l’éviter soigneusement. Le croquemitaine tourna lentement la tête vers lui.

    Les badauds qui passèrent devant l’auberge ce soir-là virent un jeune homme aux cheveux blancs comme neige être catapulté par une des fenêtres de l’établissement. Certains reconnurent un des zouaves qui avaient semés la pagaille dans le centre-ville.

    N’en resta plus que trois.

    Mayumi, qui ne se voyait pas passer la nuit sans son précieux Jack, sauta à sa suite par le vasistas, lui déclamant son amour.

    N’en resta plus que deux.

    Tamalice, le terrain enfin libre, sentit la chaleur monter jusqu’à ses joues, et elle se rapprocha de Pitch, sûre de son succès, et lui offrit son sourire le plus enjôleur.

    Une quatrième personne, une elfe aux cheveux roses cette fois-ci, traversa l’embrasure largement ouverte et s’écrasa sans grâce sur le pavé, tout comme ses quatre compagnons d’infortune avant elle.

    N’en resta plus qu’un.

    Pitch s’étala de tout son saoul sur les draps, roi du monde. Pour cette nuit.

    Au pied du lit, Mélo dormait depuis longtemps.

    Bonus : Il sentit un poids soudain sur la couche. A l’idée des quatre autres revenus prendre leur place, il ouvrit les yeux. Dans la semi-obscurité, il discerna un sourire aux canines étonnement longues. 

    « Donne l’herbe à chat. »

     


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