• Nous soupirions en cœur. Assise l’une à côté de l’autre à la fac, nous écoutions d’une oreille distraite le professeur faire son cours tout en gribouillant sur nos cahiers. Alicia, ma meilleure amie depuis longtemps supportait la même torture que moi dans cet amphithéâtre : écouter la vieille chouette. Quant à moi, Laurine, je surveillais les moindres mouvements de cette prof, persuadée qu’elle allait à un moment ou à un autre se tourner dans notre discussion et jeter son agressivité sur nous. Pour une fois qu’elle lâchait toute sa haine sur d’autres pauvres élèves, je ne pouvais m’empêcher de douter de ce moment de répit. Car cette vieille chouette, ayant un sens de la mode affligeant, des lobes d’oreilles digne du bouddha, une verrue sur le coin de la bouche et des bourrelets de tous les côtés, était à fuir comme la peste. Lorsqu’elle détestait un élève, c’était jusqu’à ce qu’il craque. Nous étions donc parmi les « survivants », la supportant depuis 1 an déjà, et à cet instant elle hurlait à quelques centimètres du visage de sa proie tout en formant avec ses sourcils broussailleux un X et en lui perçant les tympans sa voix de crécelle.

    Finalement fatiguée d’user mon énergie à l’observer, je dessinais un énième croquis de Jack à côté du Pitch d’Alicia et reporta mon attention sur Aron, installé à côté de Rick. Ces deux garçons étaient nos deux meilleurs potes. Inséparables depuis des années, ils ne pouvaient cependant pas s’empêcher de se chamailler comme deux gamins. Alors qu’ils recommençaient leur petit numéro en se piquant du bout de leur critérium, Mary-Sue, la plus belle fille de la fac et notre ennemie de toujours, se glissa entre eux deux. Cette fille était le mal incarné, superbe, intelligente, à plaindre, aimée de tous et n’avait malheureusement pas sa langue dans sa poche. Elle ne nous supportait autant qu’on la supportait, c’est-à-dire pas plus de 30 secondes. Sa jalousie maladive l’entrainait constamment à essayer de nous piquer nos deux amis masculins et encore aujourd’hui, elle tentait une nouvelle fois de les conquérir. Elle retirait deux boutons de sa chemise pour plus de sex-appeal avant de passer à l’action. Sa main frôla celle de Rick tandis que l’autre se posait sur la cuisse d’Aron. Un frisson d’amertume m’envahit vitesse grand V tandis qu’Alicia réprimait un hoquet de haine. Nous serions les poings, prêtent à intervenir à n’importe qu’elle moment. Lorsqu’elle dépassa la limite, léchant presque l’oreille d’Aron, je me hissais sur le bureau furibonde et me dirigeais vers leur table, n’ayant qu’une seule cible : Mary-Sue. Enfin, manque de pot, je trébuchais contre le sac de mon amie et m’écroulais dans l’allée d’escalier. La tête enfoncée dans la vieille moquette sale, je pleurais en silence de mon échec et de la honte qui s’abattait sur moi désormais. La salle se tue totalement. Puis vint la fatidique scène de fou rire, ce qui me donnait envie de partir en courant. J’entendis May ricaner et soulever une mèche de mes cheveux avec un regard empli de pitié.

    « - Qu’est ce qu’elle essaye de nous pondre, la blondasse ? Si c’est ça ton dernier espoir pour espérer te faire remarquer, c’est réussi, mais tu as l’air plus bête que mignonne, dommage pour toi. 

    - Tais-toi, sifflais-je en couinant. » 

    Je pouvais voir Aron et Rick, retournés et me regardant ramasser les affaires d’Alicia. Je voulais me cacher. Une main rassurante se posa sur mon épaule. Alicia était là, levée, elle prenait le relais. Elle se posta devant la peste, tout sourire. Elle prit une cartouche d’encre et la versa sans aucun regret sur la tête de la brune. 

    « - Oh non, j’ai ruiné ton brushing. Enfin, ça ne change pas de d’habitude finalement, il est toujours aussi moche. » 

    Mary-Sue balbutia quelques mots avant de se coller à Rick. 

    « -Rick, regarde ce qu’elle m’a fait !» 

    Les deux garçons soupirèrent à la vue de cette scène pathétique et jetèrent sans remord la jeune harpie deux rangs derrière. Ce fut certainement l’une des seules fois où ils n’eurent pas à débattre 15 ans pour se mettre d’accord. Aron s’approcha ensuite de moi et me souleva doucement pour me remettre sur patte. Il allait ajouter quelque chose mais la chouette ne lui en laissa pas le temps. Elle hurla mon nom et celui de mon amie et ni une, ni deux, elle nous attrapa par le t-shirt et nous jeta dehors avec nos sacs. Nous nous retrouvions ainsi toute les deux dans le couloir, dépitées. Elle me regarda et me lança très sérieusement : 

    « - Je déteste cette fille ET cette prof. » 

    ***

     

    Nous rentrions chez nous. Nous n’avions pas vraiment le même itinéraire mais nous nous suivions sans vraiment penser au reste, parlant de nos dessins, de nos amours, de nos délires, nos coups de gueules… Alors que je lui montrais la dernière pose inventée en basket pour rattraper les balles, je la vis soudainement chuter. Mais pas une chute naturelle, sur le béton, les genoux enflés et tout ce qu’il va avec, non. Dans un trou, un trou sans fond. Je m’arrêtais, bouche bée. Je me penchais sur le bord de cette crevasse en l’appelant désespérément. Sans nouvelle, j’étais prête à appeler les secours quand je l’entendis crier du fin fond de l’abime, un lointain cri de plus en plus proche. Elle ressortie à la vitesse de la lumière par je ne sais quel moyen, m’attrapa le bras et nous disparaissions à nouveau dans cette cavité profonde. 


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