• Chapitre 8 [Par Mayumi]

    Un brouhaha d’indignement et un cri de douleur retenti dans nos oreilles. Mes yeux s’ouvrirent lentement. J’avais vaguement entendu May sortir un hurlement étouffé, ce qui m’avait provoqué un léger frisson de joie. Emergeant de ce désagréable sommeil qui gratte, je tentais de remettre mes vertèbres à leur place tout en retirant l’herbe séchée. Il faut dire que notre chute du haut de la fenêtre n’avait rien arrangé. Ralentie par des draps tendus horizontalement qui, dieu soit loué, avait sauvé notre coccyx d’un douloureux atterrissage, nous nous étions arrangé pour dormir dans « l’écurie » d’en face étant donné que Pitch refusait catégoriquement de nous faire rentrer. Dans le noir et à tâtons, nous n’avions pas pu remarquer ce qui s’y logeait, seulement atteindre maladroitement un enclos et de la paille pour y dormir. Le matin était donc douloureux et bruyant comme à son habitude. J’étais prête à découvrir le nouveau malheur qui nous était encore tombé dessus. Mes yeux s’ouvrirent, j’avais très mal dormi à cause de l’absence de matelas, mais j’avais réussi à récupérer Jack pour me servir de traversin à enlacer, encore. Cependant ce n’était pas le Jack que j’envisageais de voir à mon réveil mais quelque chose d’écailleux que je serrais fort contre moi et qui me regardait avec un regard félin sceptique. Sa langue de reptile sortit un bref instant de sa gueule comme pour me faire comprendre qu’il fallait lâcher. Lentement je lui rendais sa patte arrière et cherchais mes compagnons d’un œil désespéré. Tous étaient scotchés au fond de l’enclos et me fixaient avec de grands yeux apeurés.

    « -Surtout Mayu, ne bouuuuge pas, articula lentement Tama.

    -Ou sinon tu vas te faire dévorer comme Mary-Sue, continua Jack, le cœur au bord des lèvres.

    -Hihihi, tu aurais dû voir la tête qu’elle faisait avant de se faire avaler d’un coup, comme si elle ne comprenait pas qu’on puisse lui faire ça.

    -Pour le coup, Mélo à raison, sa majesté n’a apparemment jamais vécu un traumatisme de ce genre, ricana mon amie, maintenant, essaye de reculer lentement avant qu’on n’en perde une autre. »

    Je déglutis et observais de nouveau les deux grands yeux dragonesques qui ne me lâchaient pas un instant. Puis je pensais une seconde à Croquemou dans Dragons. Peut-être était-il pacifique lui aussi… ? Je tendis une main hésitante en direction de son museau, tentant une approche sympathique. Le son de sa machoire qui claqua, ratant ma main d’un millimètre fit disparaitre cette idée aussi vite qu’elle était arrivée. Caressant ma main qui avait failli y passer, je couinais en faisant une grimace terrifiée.

    « -Je vais mourir ! Compris-je. »

    Tous hochèrent vigoureusement la tête en signe de consentement. La créature rapprocha son museau de mon front et ouvrit grand la gueule. Toute petite face à ces rangés de dents et cette haleine putride, je n’osais plus respirer, tétanisée. Jack se leva d’un coup, prêt à intervenir, sans pour autant lâcher le bras de Tamalice, entrainée malgré elle dans cet acte pas si héroïque que ça. Sans réfléchir, il s’avança, les doigts toujours fermement plantés dans la chair de l’elfe qui n’eut pas le temps de rechigner. Cependant il omit que le sol pouvait être encombré par une queue géante de reptile. Il trébucha lamentablement sur celle-ci et s’écrasa de tout son long. Tama, entrainée dans sa chute, écrasa d’un talon ferme la queue du dragon et s’agrippa à son aile pour se rattraper, acte inconscient qu’elle regretta immédiatement. La bête laissa échapper un rugissement de douleur. Soudainement prise de folie, elle m’attrapa entre une de ses pattes griffues, se heurta à toutes les parois de l’enclos avant de réussir à enfoncer la porte, briser la totalité des autres verrous d’un puissant coup de tête et s’envoler dans le ciel suivit d’un troupeau entier d’autres dragons. Tamalice hurla, accrochée au dos de la bête, elle s’agrippa comme si sa vie en dépendait. Jack pendouillait par le sweat. La queue du dragon s’étant agitée tout autant pendant son coup de folie, était venu s’enfiler dans son sweat du bas de son dos jusqu’à la sortie du cou. L’ayant fait percuter quelques murs avant l’envol, il ne réalisait pas encore l’étendue de sa situation, sonné. Quant à Mélo, elle s’était joyeusement accrochée au bras du malheureux avant le décollage et miaulait de joie. La bouche ouverte, ma peur ne sortait pas, me laissant ainsi avec une expression semblable au cri de Munch. Puis le cri de Jack en voyant le sol bien trop loin pour se rattraper, accentué par celui de Tamalice et de Mélo, je laissais place à un glapissement d’effroi. Le paysage changeait, les bâtiments se rapprochaient, s’éloignaient, les autres dragons, agités, s’écrasaient les uns contre les autres, rendant le vol de ce dragon complètement désastreux et aléatoire. Ce vol me rappelait l’affreuse conduite d’une ancienne babysitter et me donna la nausée. Devenue verte entre deux beuglements, je prévins mon amie.

    « -Tama… Je me sens pas très bien…

    (elle baissa le tête un instant dans ma direction avant de regarder de nouveau droit devant elle)

    -Merde, merde, merde. Les gars, on a un gros problème là !

    -Elle va gerber partout, ahahaha, s’amusa Mélo.

    -Il faut faire atterrir ce truc ! Articula Jack, balloté dans tous les sens.

    -ATTENTION ! Hurla Tamalice en voyant approcher une tornade de flamme venant d’un dragon qui tourbillonnaient, déboussolé. »

    Les flammes s’écrasèrent contre les ailes de notre dragon, les lui brulant. Tamalice serra les dents en sentant le feu grignoter le bout de ses doigts et agita frénétiquement une main pour éteindre le début d’incendie capillaire qu’elle avait tout en gardant son autre main fermement accroché. Dans un bruit de chute semblable à celui d’un avion qui dégringolait, nous tombions à toute vitesse en direction de la ville. Nos cris de terreur étaient étouffés par le son de notre chute et le dragon se mettait à tourbillonner en piquet au fur et à mesure qu’il prenait de la vitesse.

    Un bâtiment dans notre champs d’atterrissage, un fracas énorme lorsque la bête traversa le toit de tuiles, un atterrissage sur une table à manger pleine à craquer de victuailles. Arrivé au milieu d’un grand repas, les 5 membres de cette famille attablée en lâchèrent leurs couverts et tout ce qu’ils avaient dans leur bouche. Sonnés, nous ne réagissions pas sur le coup. Tout le monde était plus ou moins sain et sauf, les pires blessures étant celles du dragon qui risquait d’y passer et une fourchette plantée dans la cuisse de Jack. Tamalice glissa le long du dos du reptile volant comme si soudainement elle était elle aussi devenu serpent. Elle dégringola sur un sol stable et s’écroula en versant une larme, pensant qu’elle ne reverrait jamais la terre ferme. Jack, sur le dos, était toujours coincé telle une tortue. Grimaçant de douleur, il retira d’un coup sec l’objet contendant de sa cuisse en poussant un juron. Puis il s’agita frénétiquement pour extirper cette queue de son sweat et ainsi pouvoir se relever. C’est à cet instant que Mélo tomba du toit gracieusement, son adresse féline lui ayant permis de sauter avant l’impact. Elle atterrit de tout son poids sur l’estomac de Jack qui cracha tout l’air de ses poumons dans un « Pffr ! » retentissant. Elle s’excusa et descendit d’une patte leste de son « perchoir » avant de refaire sa toilette comme si de rien n’était. Quant à moi, je m’écartais précipitamment des pattes de l’animal légendaire, rampait vers le bout de la table le plus proche et vomissais sur le sol en parfaite synchronie avec le dragon. La seule différence fut le contenu de notre dernier repas qui se rependait sur le parquet ciré, l’un à base de soupe et de pain, l’autre d’une Mary-Sue et de restes putréfiés d’un malheureux animal. Engluée dans une substance plus que suspecte et visqueuse qui empestait, elle se releva avec difficulté, ses gestes ralentis par la lourdeur et viscosité de cette gélatine dragonesque. Elle ne cria pas, ne parla pas, elle resta juste là, pétrifiée avec ses morceaux pourris glissant lentement le long de cette matière verte/jaune. Les bras écartés de son corps qui pendaient lamentablement, elle ressemblait à un oiseau mazouté. Elle était sous le choc en voyant ses beaux habits ruinés par de la bile de dragon et son brushing si parfait réduit à néant et englué. Ce fut certainement la seule fois qu’elle ne l’ouvrit pas pendant un bon quart d’heure, probablement de peur d’avaler ce que le dragon avait recraché sur elle.

    Je me remettais quant à moi doucement, blanche comme un linge, je me redressais et chercha du regard une serviette. Sans aucune gêne, je pris la première qui se trouva à ma portée et m’essuya nonchalamment la bouche. Puis, prise de conscience : nous n’étions pas seul dans cette pièce. Je me tournais vers les 5 étrangers qui ne pipaient pas mot. Les yeux grands comme des soucoupes, ils hésitaient à s’en prendre à nous à cause de l’énorme dragon qui s’étalait de tout son long entre nos deux groupes. Ne sachant pas s’il était encore en mesure de s’attaquer à eux, ils ne bougeaient pas, attendant qu’un d’eux face le premier vaillant pas. Voyant que cela n’allait pas tarder, je m’adressais aux autres après avoir déglutis :

    « -Les gars, je pense qu’on devrait partir…

    -J’approuve, dit Tamalice qui piochait désormais avec assurance dans certains plats et piquait quelques couverts en argent au passage. Laisse-moi juste remplir ma besace… Voilààààà… Je vais me faire une petite vitrine sympathique en rentrant, moi ! 

    -Messieurs dames, je suis confus… Commença à s’excuser Jack après s’être enfin dépêtré de la queue du reptile. Tamalice, ça suffit, on n’est pas à un buffet à volonté !

    -Berk, c’est trop salé, miaula Mélo après avoir gouté ce qui ressemblait à du poulet. Partons, ils ne savent même pas cuisiner correctement.

    -Vous ne partirez pas sans rembourser les dommages causés ! Hurla le chef de la tablé en s’avançant avec un marteau qu’il sortait de je ne sais où. Il était cependant encore un peu hésitant face au dragon qui était pris désormais de convulsions. »

    Son chemin barré par le reptile qui désormais crachait deux trois petits jets de feu, il prit son élan et envoya valser à la seule force de son bras droit son marteau. Sa carrure imposante en disait long sur sa puissance, mais c’est seulement en voyant le marteau s’écraser contre le mur à deux centimètres du nez de l’elfe et y rester figer qu’on comprit qu’il ne valait mieux pas rester plus longtemps.

    -FILONS ! Beugla Tama encore sous le choc. »

    Personne ne se fit prier deux fois, ni une, ni deux notre bande de bras cassés fuirent à toute jambe, Mélo la première, Mary-Sue la seconde laissant sur son passage de grandes traces vertes telle une limace, suivie de Jack boitant et à l’allure débraillée, puis de Tamalice et moi, mon amie ralentie par son sac plein à craquer et moi, persuadée que de trop brusques mouvements entraineraient de nouveaux des hauts le cœur.

    Dévalant les escaliers qui menaient au rez de chaussé, nous étions précédés par de grands cris, ils avaient outrepassé leur peur de la créature et nous poursuivaient désormais. Nous bousculions tous ceux qui se trouvaient dans notre chemin, plus effrayés par l’homme mi Thor- mi Hulk derrière que par les habitants maigrelets de cet immeuble. Tamalice finit par rattraper Mélo, et avec une force surpuissante, elle défonça la porte d’un coup d’épaule. Elle avait certainement dû être une voleuse ou une catcheuse dans un autre monde.

    Mais elle s’arrêta immédiatement lorsqu’elle vit Pitch planté en face d’elle, l’air menaçant. Un frisson d’extase la parcouru. Il était de retour. Jack en le voyant poussa son second juron de la journée, May reprit des couleurs mais resta muette, Mélo s’en contrefichait, préférant rappeler à la princesse la douce odeur qui émanait d’elle, et moi reprenant mon souffle et m’accroupissant pour atténuer la tempête dans mon système digestif n’y prêta même pas attention. Mais le maître des cauchemars ne nous laissa aucun répit, il attrapa l’elfe par le bras et nous emmena tous dans une ruelle plus loin, cachée de tout. Enfin en sécurité, il relâcha le bras de mon amie avec dédain.

    « -Comment tu nous as retrouvé, tu as un GPS dans le cul ou bien… ? Grommela Jack, manifestement devenu vulgaire suite à sa blessure par fourchette.

    -Difficile de ne pas savoir où vous vous trouvez avec tout le capharnaüm que vous venez de créer, siffla le croquemitaine entre ses dents.

    -Boarf, ce n’est pas si grave que ça, sifflota Tamalice en caressant l’endroit où Il l’avait touché, on a juste vaincu un dragon et évité un sosie de King Kong, je refais ça quand tu veux. (elle le fixa avec un air de défi à la limite du séducteur tandis que Mélo s’enfonçait un doigt dans la gorge pour simuler son dégout)

    -Oui, vous avez aussi délivré une horde de dragons qui s’en prennent en ce moment à la moitié de la ville. C’est l’apocalypse dans les rues entre ceux qui s’enfuient se cacher et ceux qui tentent de les arrêter, ajouta Pitch en hochant de la tête, un sourire ravi sur le visage. Autant de peur… Comme à une certaine époque! Comme c’est grisant… !

    -Pitié, ne me dites pas qu’il y a du sang dans les rues ou je vais tourner de l’œil, me plaignais-je, un peu moins blanche qu’avant.

    -Tu ne peux pas si bien dire… Ricana Pitch.

    (Je le fixais avec des gros yeux, pétrifiée)

    -Il faut venir en aide à ces gens, clama soudainement Jack en se redressant, oubliant quelques instants sa blessure.

    -Je serais plus tenter pour trouver quelqu’un qui pourra nous faire partir d’ici. Je n’arrive pas à m’habituer au fait de ne pas avoir de pouvoirs. J’ai l’impression d’être un de ces ridicules humains.

    -La vie de ces gens importe plus que tes pouvoirs !

    -Balivernes, Je suis le croquemitaine, sans moi, le monde des cauchemars ne tournerait pas et Sable ne servirait à rien. Alors un peu d’horreur ne fait pas de mal, et puis ça ne sera que plus facile de les terroriser ensuite…

    -Je ne vois même pas pourquoi j’essaye de discuter avec toi… Soupira le jeune homme. Faites ce que vous voulez, moi, je vais aider ces personnes.

    (Il commença à partir en direction des cris, quand je le retins par le bout du sweat.)

    -Ecoute, je ne veux pas être méchante mais sans tes pouvoirs, tu risques de te faire carboniser comme tous les autres… Pitch n’a pas en grande partie tort, trouver un moyen de vous restaurer vos pouvoirs et de vous faire rentrer est plus judicieux.

    -Elle a raison, la priorité reste de nous faire rentrer tous. Je vous propose de trouver un druide ou un savant, il doit bien en avoir un dans le coin. C’est comme les pharmacies ces trucs là… Ajouta Tamalice. »

    Jack bougonna, mécontent d’avoir tort tandis que Pitch s’abreuvait de sa mauvaise humeur avec un plaisir non dissimulé. Tamalice et moi nous réjouissions de pouvoir rester encore longtemps avec nos deux légendes et soupirions de soulagement. Nous avions failli les perdre. Mélo chantonnait, prête à nous suivre ou nous allions tant que l’animation restait telle quelle et Mary-Sue, silencieuse depuis tant de temps, s’éclairci la gorge pour attirer notre attention. Toute ratatinée et semblable à un petit lapin blessé, elle leva un doigt hésitant et demanda timidement :

    « -Et avant, on pourrait trouver une douche ? »


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